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Absolutisme

Le terme d'absolutisme, attesté en français dès 1797, eut d'abord, dans les débats sur la monarchie constitutionnelle à l'époque de la Restauration, une connotation péjorative, qu'il perdit sous la plume des historiens allemands du XIXe s. Dès lors il est entré dans l'usage courant pour désigner tantôt une forme particulière de la monarchie, tantôt une époque de l'histoire européenne, entre la guerre de Trente Ans et la Révolution française, époque qui vit naître "un Etat souverain appuyé sur l'intégrité territoriale et sur une société homogène de sujets" (Johannes Kunisch), ancêtre de l'Etat-nation moderne. La monarchie absolue renforça et centralisa la puissance de l'Etat au moment où les forces politiques traditionnelles du Moyen Age (Empire, états, ordres, corps) n'étaient plus en mesure ni de résoudre les problèmes posés par la démographie, par les crises économiques et sociales, par le développement précapitaliste, ni d'assurer la paix et la sécurité (guerres civiles, guerre de Trente Ans).

La notion d'absolutisme en général

L'absolutisme, dont les théoriciens furent Jean Bodin et Thomas Hobbes, est par définition un régime autocratique: le monarque y exerce son pouvoir en dehors de toute participation et de tout contrôle des corps constitués (noblesse, assemblées d'états, villes) et s'efforce d'instaurer une homogénéité juridique entre ses Sujets, tous contraints à l'obéissance. Il affirme sa puissance en politique étrangère grâce à ses diplomates et à une armée permanente. Il cherche à augmenter massivement les revenus de l'Etat, tout en les diversifiant (impôts, monopoles, régales), et à établir une administration entièrement à son service. Sur le plan économique, il se réfère au Mercantilisme, qui vise à exploiter au mieux les ressources du pays et à parvenir à un solde positif de la balance commerciale. Légitimée par le droit divin, la monarchie absolue justifie son interventionnisme par la doctrine de la puissance souveraine et par le fait que son action favorise le bien-être général (bien commun, bon gouvernement ou gute Policey). Elle met en scène dans le faste de la cour et dans le cérémonial entourant le souverain la puissance qu'elle prétend incarner (Représentation). Les monarchies française et prussienne correspondent le mieux aux modèles absolutiste et absolutiste éclairé, alors que le développement du parlementarisme en Angleterre fit de ce pays un contre-exemple.

Dès le milieu du XXe s., les historiens, allemands et anglo-saxons surtout, se sont intéressés non seulement à l'absolutisme comme modèle étatique, mais à son arrière-plan économique et social. Ils ont apporté, au point de vue de l'histoire tant sociale que politique, tant de nuances et de critiques à cette notion qu'elle est devenue problématique quant à son contenu, quant à son extension chronologique et géographique et même quant à sa pertinence (Rudolf Vierhaus, Nicholas Henshall, Heinz Duchhardt). Plutôt que d'une opposition entre le monarque absolu et les ordres ou les forces locales, ils ont mis l'accent sur leur complémentarité (coopération et recherche du consensus en matière législative, fiscale et administrative). Dans le gouvernement et l'administration, ils ont vu moins la puissance illimitée du souverain que son ancrage dans les droits et privilèges de la société d'ordres, dont le monarque respecte l'organisation. Pour les juristes et théoriciens de l'époque, le prince est legibus (ab)solutus (au-dessus des lois), mais non pas jure (ab)solutus (au-dessus du droit), ce qui le différencie du despote. Les recherches récentes ont mis en lumière le fait que l'absolutisme "fut loin d'atteindre le degré de rationalité dans l'organisation politique, d'intégration et d'homogénéité sociales auquel tendait sa propre théorie" (Ernst Hinrichs).

L'absolutisme dans l'historiographie suisse

En raison de situations politiques et sociales particulières, l'historiographie suisse ne pouvait utiliser le concept traditionnel d'absolutisme que dans certains cas ou à titre de comparaison, pour faciliter l'interprétation. Hans Conrad Peyer a vu dans "la tension non résolue entre le droit coutumier médiéval et l'absolutisme moderne" une caractéristique de l'histoire constitutionnelle des cantons confédérés. Rudolf Braun a constaté le "caractère hybride" de leur système politique, qui combinait des éléments traditionnels, gouvernement de type seigneurial et administration patrimoniale, avec des essais de bureaucratie moderne. Il manquait aux gouvernements aristocratiques des républiques urbaines (Cantons à régime patricien, Villes corporatives) comme aux systèmes démocratico-aristocratiques des Cantons campagnards la base même de l'absolutisme, à savoir un monarque qui décide en dernier recours. Les projets de réformes militaires et fiscales de Zurich et de Berne dans la première moitié du XVIIe s. (armée permanente, impôts réguliers sur la fortune) se heurtèrent à l'opposition des sujets dans les années 1640 et lors de la guerre des Paysans (1653). Cela "empêcha la création des principaux attributs de l'Etat moderne ― armée de métier et administration professionnelle ― et contraignit à conserver le système de milice, hérité du Moyen Age, dans l'armée comme dans la fonction publique" (Peyer). Néanmoins, dans l'administration centrale des cantons urbains, l'introduction de commissions permanentes où siègent des membres des Conseils qui se spécialisent dans certains domaines constitue un début de bureaucratisation. Dans les pays sujets, les baillis des cantons souverains touchèrent à peine aux structures administratives locales héritées du Moyen Age; ils devaient tenir compte des privilèges des communes et des seigneuries et respecter leur autonomie.

C'est encore à la politique économique et fiscale de l'évêque de Bâle que le modèle classique de l'absolutisme s'applique le mieux: dès le milieu du XVIIe s., les princes-évêques élargirent les ressources de l'Etat (augmentation des impôts frappant les paysans et des revenus régaliens, utilisation accrue des communaux dans l'intérêt du souverain) afin de faire face à l'accroissement des dépenses consacrées à la défense, à la politique étrangère, au cérémonial de la cour et à l'administration, réformée en 1726. Au début du XVIIIe s., ils limitèrent drastiquement les compétences fiscales et administratives des Etats de l'évêché et renforcèrent le contrôle bureaucratique de la vie économique et sociale des communes. On peut aussi parler d'absolutisme dans la principauté de Saint-Gall, lorsque les princes-abbés tentèrent dans la seconde moitié du XVIIe s. de mieux organiser le territoire, de limiter les anciens privilèges locaux, en particulier dans le Toggenbourg, et de soutenir le catholicisme. Mais à Saint-Gall comme à Bâle, les sujets et les Etats se rebellèrent (troubles du Toggenbourg en 1699-1712 et 1731-1759, Troubles de l'évêché en 1726-1740).

L'historiographie suisse utilise le terme d'absolutisme dans une acception plus générale et plus vague pour décrire les mesures prises par les autorités entre le XVIe  et le XVIIIe s. afin de généraliser, centraliser et unifier la législation, la procédure et l'administration. Elle aperçoit aussi des tendances absolutistes dans l'Oligarchisation qui dès le XVIe s. fait que quelques familles se réservent les hautes charges en même temps que le Petit Conseil supplante le Grand comme source du pouvoir. Rudolf Braun considère qu'une "technique de gouvernement absolutiste" est à l'œuvre là où les autorités élargissent leur champ d'action dans le but d'ordonner et de régulariser la situation intérieure, là où elles vont vers une utilisation plus intensive des ressources publiques, en s'appuyant sur des théories mercantilistes et caméralistes: augmentation des droits de douane, réorganisation de la fiscalité, introduction de monopoles d'Etat (sel, grains), exploitation des régales, développement des infrastructures (routes, canaux). Cette politique, source potentielle de conflits, se heurta souvent aux protestations des groupes concernés et des communes (Révoltes paysannes, Révoltes urbaines).

Sources et bibliographie

  • Peyer, Verfassung
  • HbSG, 675-772
  • Braun, Ancien Régime
  • A. Suter, "Troublen" im Fürstbistum Basel (1726-1740), 1985
  • E. Hinrichs, éd., Absolutismus, 1986 (surtout l'article de R. Vierhaus)
  • H. Duchhardt, Das Zeitalter des Absolutismus, 1989 (21992) (avec bibliogr.)
  • N. Henshall, The Myth of Absolutism, 1992
  • H. Duchhardt, «Absolutismus - Abschied von einem Epochenbegriff?», in Historische Zeitschrift, 258, 1994, 113-122
  • M. Körner, «La Svizzera, paradiso fiscale in età moderna», in Transazioni, strategie e razionalità fiscali nell'Europa medievale e moderna, éd. J.-C. Waquet, 1995, 93-115
  • G. Vogler, Absolutistische Herrschaft und ständische Gesellschaft, 1996
  • M. Körner, «The Swiss Confederation», in The Rise of the Fiscal State in Europe, c. 1200-1815, éd. R. Bonney, 1999, 327-357
Liens

Suggestion de citation

André Holenstein: "Absolutisme", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 28.07.2016, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/009924/2016-07-28/, consulté le 29.03.2024.