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Droit de cité

Selon la Constitution fédérale (Cst.), «a la citoyenneté suisse toute personne qui possède un droit de cité communal et le droit de cité du canton» (article 37). Le droit de cité, dit aussi droit de bourgeoisie, est donc triple: nationalité suisse, indigénat cantonal et bourgeoisie communale, le citoyen suisse étant «bourgeois» d'une «commune d'origine», éventuellement de plusieurs. Le droit de cité s'acquiert soit par naturalisation, soit automatiquement quand les conditions prévues par la loi sont remplies. En Suisse, il se transmet selon le droit du sang (ius sanguinis) des parents à l'enfant, même adopté, mais aussi par mariage avec un Suisse ou une Suissesse, si la personne concernée est domiciliée depuis un certain temps dans une commune suisse. Le droit de cité comporte divers droits et devoirs: droits politiques, protection diplomatique, liberté d'établissement, pas d'expulsion ni d'extradition, service militaire obligatoire. Jusque dans la seconde moitié du XXe siècle, les femmes ont été privées de leurs droits politiques sur les trois niveaux et sont aujourd'hui encore exemptées du service militaire obligatoire. Le droit de cité ne peut être conféré qu'à des personnes physiques. Il est donc l'expression juridique de la relation entre l'individu et l'Etat dont il est ressortissant, relation qui accorde au ou à la titulaire du droit de cité un droit fondamental à l'égalité de traitement, individuel, constitutionnel et opposable.

Sur le plan communal, il faut distinguer commune politique et commune bourgeoise (bourgeoisie, corporation). Les droits et devoirs politiques (communaux et cantonaux) de tout citoyen suisse s'exercent au lieu de domicile, dans le cadre de la première. Par ailleurs, les membres d'une commune bourgeoise ont dans celle-ci un droit de vote et de participation financière, en vertu de dispositions qui diffèrent d'un canton à l'autre. Généralement, les membres d'une bourgeoisie doivent avoir le droit de cité de la commune politique correspondante. Parmi les devoirs liés au droit de cité communal, citons l'obligation d'accepter une tutelle ou l'aide en cas d'urgence. Sur la base de l'article 37 alinéa 2 Cst., les communes bourgeoises peuvent privilégier leurs membres par rapport aux tiers et ainsi déroger au principe d'égalité de traitement énoncé à l'alinéa 1. Dans ce domaine toutefois, le droit cantonal peut restreindre la liberté d'action des bourgeoisies et corporations. Celles-ci doivent en outre respecter le principe d'égalité prévu à l'article 8 Cst. (voir à ce propos la décision du Tribunal fédéral ATF 132 I 68).

Le droit de bourgeoisie au Moyen Age et à l'époque moderne

On appelle bourgeois dès le XIe siècle les habitants d'une ville (en allemand Bürger ou Burger, d'abord réservé, au IXe siècle, aux habitants d'une localité liée à un château fort ou Burg). Seule la propriété d'une parcelle intra-muros conférait un droit de bourgeoisie complet, assorti de la protection juridique la plus étendue. Beaucoup de serfs essayaient de trouver du travail dans une ville et d'en devenir bourgeois. Au XIIIe siècle, l'obligation de posséder un terrain fut abrogée, sauf pour les bourgeois forains (mais les catégories ne jouissant pas de droits complets subsistèrent), et le droit de bourgeoisie se transforma en un lien personnel de fidélité envers le seigneur de la ville et envers les autres bourgeois, concrétisé également dans l'accomplissement de certains devoirs. L'octroi de la bourgeoisie à certaines personnalités ou collectivités extérieures, de même que les fréquents accords de combourgeoisie étaient des instruments permettant aux villes de bâtir des systèmes d'alliances.

A l'époque moderne, les villes rendirent l'accession à la bourgeoisie de plus en plus ardue, puis impossible. Le nombre des habitants sans droits s'accrut donc, tandis que le patriciat, qui monopolisait le pouvoir (oligarchisation, oligarchie), se différenciait des simples bourgeois, dont l'influence allait en diminuant. Dans les cantons campagnards aussi, les communautés s'affranchirent de leurs seigneurs et leurs membres acquirent un statut qui, d'un point de vue formel, était analogue à celui des bourgeois des villes; la différence étant que les habitants (masculins) de pleins droits y prirent le pouvoir plus tôt que dans les villes et que leur assemblée (landsgemeinde) garda son influence à l'époque moderne, tandis que les assemblées de bourgeois perdaient en importance. Ni les traités de combourgeoisie ni les nombreux accords et alliances (pactes fédéraux, alliances urbaines) conclus entre les cantons de la Confédération n'aboutirent à un droit de bourgeoisie fédéral. Dans l'organisation politique et juridique du Moyen Age et de l'époque moderne, les individus appartenaient d'abord à une collectivité locale (ville, vallée, seigneurie).

XIXe et XXe siècles

Lettre d'admission à la citoyenneté du canton de Genève donnée par le Conseil d'Etat en 1880 (Collection privée; photographie Bibliothèque de Genève, Archives A. & G. Zimmermann).
Lettre d'admission à la citoyenneté du canton de Genève donnée par le Conseil d'Etat en 1880 (Collection privée; photographie Bibliothèque de Genève, Archives A. & G. Zimmermann).

La Constitution de la République helvétique, en 1798, uniformisa, sur le modèle français, la notion de citoyenneté suisse (citoyen). Les étrangers pouvaient l'acquérir après vingt ans de séjour (article 20 de la Constitution helvétique du 12 avril 1798), mais non les juifs (judaïsme), selon une disposition postérieure. Sous la Médiation (1803-1815), la citoyenneté suisse fut maintenue (elle était reconnue soit à ceux qui l'avait obtenue par décret des autorités législatives helvétiques, soit aux membres d'une commune bourgeoise), mais il ne fut plus possible de l'acquérir (acte de Médiation); toute nouvelle naturalisation était de la compétence des cantons. Le Pacte fédéral de 1815 ne mentionnait plus de citoyenneté suisse. Quelques cantons conclurent entre eux des concordats sur la liberté d'établissement.

La Constitution de 1848 renonça à introduire une citoyenneté suisse. En déclarant que «tout citoyen d'un canton est citoyen suisse», elle superposait au droit de cité cantonal un droit de cité suisse qui en dérivait et qui conférait les mêmes droits civiques à tout Suisse de sexe masculin et de religion chrétienne (article 42 de la Constitution fédérale du 12 septembre 1848). L'acquisition et la perte du droit de cité restaient du ressort des cantons. Les juifs obtinrent l'égalité des droits en 1867. La Constitution de 1874 limita les compétences des cantons et soumit les naturalisations à la surveillance de la Confédération. Celle-ci se vit attribuer en 1898 la législation sur le droit civil, ce qui incluait les règles sur l'acquisition et la perte de la nationalité relevant du droit de la famille. Entre 1870 et 1910, la proportion des étrangers en Suisse passa de 5,7% à 14,7%; les autorités favorisèrent donc les naturalisations. La loi fédérale de 1876 sur la nationalité suisse, légèrement modifiée en 1903, fut révisée en 1920, en tenant compte de l'afflux des étrangers (jusqu'en 1910) et des expériences de la Première Guerre mondiale; elle prévoyait la naturalisation dite forcée. La diminution de la proportion d'étrangers (5,2 % en 1941) n'est probablement pas imputable à cette nouvelle loi, non adoptée par les cantons, mais bien plutôt au retour des étrangers en raison de la guerre et de la politique d'immigration plus restrictive avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Le contenu concret du droit de cité a beaucoup changé depuis 1848. L'évolution politique et économique, ainsi que les effets des deux guerres mondiales, ont fait que, pour l'Etat comme pour les individus, l'appartenance nationale est devenue plus importante que la commune d'origine, qui déterminait autrefois le lieu où l'on accomplissait ses obligations militaires et où l'on avait droit à l'assistance. La loi fédérale de 1952 sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse reflétait cette mutation; elle permettait notamment aux femmes mariées avec un étranger de conserver leur droit de cité suisse, à condition de faire une déclaration, soit auprès d'un office d'état-civil en Suisse, soit auprès d'une représentation diplomatique ou consulaire à l'étranger, au moment où le mariage était annoncé ou célébré. Quelques modifications survinrent ensuite, relatives notamment au droit de l'enfant. En 1983, le peuple adopta les articles constitutionnels sur l'égalité féminine (articles 44 et 45 de la Constitution de 1874), ce qui rendit nécessaire une adaptation du droit matrimonial; c'est ainsi que, depuis 1988, les femmes mariées avec un étranger n'ont plus besoin de faire une déclaration pour conserver leur droit de cité suisse. En même temps, on abolit les dispositions, fondées sur un ancien droit coutumier (article 54, alinéa 4 de la Constitution de 1874 et article 3 de la loi de 1952), qui voulaient que les étrangères épousant un Suisse reçoivent automatiquement le droit de cité suisse et, d'autre part, que les Suissesses perdent leur droit de cité communal et cantonal pour acquérir celui de leur mari: aujourd'hui elles le gardent, mais reçoivent aussi celui de leur mari, si bien que beaucoup d'entre elles ont aujourd'hui deux communes d'origine.

La part des étrangers a de nouveau augmenté depuis les années 1960. Le peuple et les cantons ont refusé en 1983 et 1994 la naturalisation facilitée des jeunes étrangers ayant grandi en Suisse, des personnes admises comme réfugiés et des apatrides. Les révisions de 1984 et 1990 l'ont seulement accordée aux descendants non suisses de parents suisses et aux personnes qui ont épousé un Suisse ou une Suissesse. Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur la nationalité (LN) en 1992, les personnes naturalisées ne perdent plus leur nationalité d'origine. La double ou multiple nationalité n'est ainsi pas un obstacle à la naturalisation, comme c'est encore le cas en Autriche, par exemple. 

Nouveaux développements

En 2003, le Parlement a accepté une nouvelle loi sur la nationalité, qui prévoyait une naturalisation facilitée pour les étrangers de la 2e et de la 3e génération, mais ces dispositions, soumises au référendum, ont été rejetées par le peuple et les cantons en 2004. Une initiative parlementaire déposée en 2008 se borna à introduire la naturalisation facilitée pour les étrangers de la 3e génération qui n'avaient pas encore atteint leur 25e année. Passée en votation, cette proposition fut acceptée en 2017. La révision totale de la LN, entrée en vigueur en 2018, visait principalement la simplification et l'harmonisation des procédures de naturalisation.

L'article 42 de la LN révisée prévoit la possibilité de retirer la nationalité suisse à une personne dont la conduite «porte gravement atteinte aux intérêts ou au renom de la Suisse», à condition qu'elle dispose d'une autre nationalité et que ledit retrait ne la laisse pas apatride. Cette disposition, controversée en termes de droit international et constitutionnel, figurait déjà dans la LN de 1952; elle n'a, jusqu'à maintenant, été utilisée qu'une seule fois, en 2019.

La procédure de naturalisation a également fait l'objet de modifications depuis le début du XXIe siècle. Pendant longtemps, les décisions relatives à la naturalisation d'étrangères et d'étrangers étaient soumises au vote communal; il s'agissait donc d'un acte politique, dont le résultat ne devait pas être justifié et ne pouvait être contesté devant les tribunaux. Avec les arrêts ATF 129 I 217 et ATF 129 I 232 de 2003, le Tribunal fédéral a toutefois stipulé que la décision de naturalisation devait être motivée et qu'elle pouvait faire l'objet d'un recours juridique. L'obligation de motivation rendit considérablement plus compliquée, voire impossible, la procédure de naturalisation par scrutin populaire dans les plus grandes communes. Au cours des premières décennies du XXIe siècle, les décisions de naturalisation furent ainsi prises dans différents cantons sans consultation du souverain. Ce changement de pratique a ouvert la voie du recours au Tribunal fédéral à condition qu'il soit limité à la violation de l'interdiction de l'arbitraire. Depuis lors, le Tribunal fédéral a été de plus en plus souvent amené à se prononcer sur de telles plaintes.

Sources et bibliographie

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  • Rütte, Barbara von: «Die erleichterte Einbürgerung für Jugendliche der dritten Generation», in: Jusletter, 20 mars 2017.
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  • Speich, Heinrich: Burgrecht. Von der Einbürgerung zum politischen Bündnis im Spätmittelalter, 2019.
  • Häfelin, Ulrich; Haller, Walter et al.: Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 202010.
Liens

Suggestion de citation

Rainer J. Schweizer, Christina Müller: "Droit de cité", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 11.01.2021, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/008969/2021-01-11/, consulté le 19.03.2024.