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Alchimie

Au Moyen Age et à l'époque moderne, le concept d'alchimie recouvrait un ensemble complexe de spéculations et d'expériences relatives à la nature. L'alchimie se donnait pour but de transmuter et sublimer la matière à l'aide d'un agent universel (élixir, pierre philosophale), capable de guérir les maladies et d'ennoblir les métaux vils.

Manuscrit enluminé anonyme, vers 1550 (Universitätsbibliothek Basel, L IV 1, p. 293).
Manuscrit enluminé anonyme, vers 1550 (Universitätsbibliothek Basel, L IV 1, p. 293). […]

Contrairement aux pays voisins, le territoire de la Suisse actuelle ne semble pas avoir hébergé d'adeptes de l'alchimie avant la fin du XVe s. Même si les bibliothèques helvétiques possèdent d'importants traités médiévaux, la plupart sont d'origine étrangère et d'acquisition plus récente. Bartholome Schobinger (1500-1585) rassembla le premier une collection systématique sur le sujet à Saint-Gall, que Paracelse ne tarda pas à consulter. Le premier ouvrage d'alchimie rédigé sur sol helvétique, à Fribourg, est probablement le Coelum philosophorum de Philip Ulstadt, ouvrage influent qui connut cinq éditions entre 1525 et 1535, mais toutes à l'étranger. Peu après, cependant, et jusqu'au début du XVIIIe s., des textes alchimiques majeurs, souvent encore inédits, furent imprimés en Suisse dans des corpus de plus en plus imposants. Samuel Apiarius donna l'exemple à Berne en 1545 avec l'Alchemia du pseudo-Geber et six autres classiques. Il fut suivi par Guglielmo Grataroli, dont la collection Verae alchemiae artisque metallicae vera doctrina, riche de 53 titres, parut en 1561 chez Pietro Perna, à Bâle. En 1572, Perna publia en quatre recueils 88 classiques de l'alchimie arabe et latine, dont l'Auriferae artis, quam chemiam vocant, antiquissimi authores (traduction allemande en 1613). Un éditeur anonyme de Rorschach se spécialisa dans l'impression des œuvres attribuées à un prétendu maître de Paracelse, Salomon Trismosinus (Aureum Vellus oder Guldin Schatz, 1598-1604). A partir de 1628, Genève devint, grâce à la famille de Tournes, un centre de réimpression d'écrits alchimiques; cette activité ne prit fin qu'en 1702 avec la Bibliotheca chemica curiosa du Genevois Jean-Jacques Manget, insurpassée à ce jour (141 traités en deux in-folios).

Quand Paracelse (1493-1541) eut rejeté l'alchimie comme "procédé de faiseurs d'or", l'alchemia transmutatoria fut peu à peu supplantée par l'alchemia medica ou iatrochimie et par d'autres applications de caractère pratique. Mais tandis que Konrad Gessner (1516-1565) et Kaspar Wolf (1532-1601) à Zurich, Renward Cysat (1545-1614) à Lucerne et Angelus Sala (1576-1637) à Winterthour se limitaient à cela et poursuivaient la tradition des "livres de distillation", une philosophia chymica nourrie du système cosmologique de Paracelse, s'efforçait d'unir en un tout sciences naturelles et religion, allant jusqu'à interpréter comme une opération alchimique le récit biblique de la Création. Hérésie qui incita le Thurgovien Thomas Eraste à réclamer la peine de mort pour les paracelsistes dans ses Disputationes de medicina nova Th. Paracelsi (Bâle, 1571-1573). Ville de Paracelse, Bâle devint entre 1560 et 1600 le lieu de rencontre obligé des alchimistes de l'Europe entière, au nombre desquels se trouvèrent des personnages aussi chatoyants que Leonhard Thurneysen, Bâlois établi à Berlin, ou Alexander Seton alias William Alexander, Ecossais énigmatique qui semble avoir réussi par deux fois à transformer du plomb en or à Bâle en 1603. Cette transmutation brillamment réussie enhardit Raphael Eglin à braver ouvertement, avec quelques compagnons, l'interdiction de pratiquer l'alchimie édictée à Zurich une dizaine d'années plus tôt. Bartholome Schobinger le Jeune s'y référa en 1607 pour tenter d'empêcher la promulgation d'un édit analogue à Saint-Gall. A Genève, l'alchimie fut interdite à l'instigation de Théodore de Bèze en 1590, et c'est de 1597 que date le premier d'une série de recès de la Diète fédérale spécifiant que "les alchimistes et faiseurs d'or doivent être chassés de partout et punis en cas de retour". En 1603, David Zollikofer fut exécuté à Saint-Gall pour avoir mis en circulation 200 faux ducats d'"or alchimique". Un barbier de Schaffhouse "qui s'était permis de faire de l'or par alchimie" eut la chance de s'en tirer, en 1600, avec une amende de 100 florins, tandis qu'à Zoug et à Beromünster, les autorités ordonnaient de "fracasser tous les instruments et fours à distiller". Même à Bâle, le Conseil avait infligé en 1592 une lourde amende à la châtelaine de Pratteln en lui ordonnant de démolir les fours installés dans son château et de ne plus donner abri à aucun alchimiste.

En Suisse, contrairement par exemple à l'Allemagne, le triomphe de l'orthodoxie protestante donna un brusque coup d'arrêt à l'engouement pour l'alchimie. En 1625, Heinrich Schobinger signalait comme dernier adepte de l'alchimie à Bâle un certain Johann Friedrich Eggs, de Rheinfelden. En revanche, un siècle plus tard, l'alchimia mystica d'un Jacob Böhme allait jouer un rôle grandissant dans la Théosophie et la Franc-maçonnerie religieuse helvétiques. Mais en même temps, la Chimie se distançait définitivement de l'alchimie et de ses visions, allégories, cryptogrammes et conceptions magiques; le rationalisme des Lumières devait lui porter le coup de grâce, la réduisant à un chapitre de l'histoire des rêveries humaines. Il fallut un immense travail de recherches pour ramener au jour les apports incontestables de l'alchimie dans les domaines de la technique, de la philosophie, de la religion, des beaux-arts et de la littérature.

Sources et bibliographie

  • R. Halleux, Les textes alchimiques, 1979
  • TRE, 2, 199-227
  • U.L. Gantenbein, «Der frühe Paracelsismus in der Schweiz», in Nova acta Paracelsica, N.S., 10, 1996, 15-46
  • M. Bachmann, T. Hofmeier, Geheimnisse der Alchemie, 1999
Liens

Suggestion de citation

Carlos Gilly: "Alchimie", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 05.06.2001, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/008251/2001-06-05/, consulté le 19.03.2024.