de fr it

Cols

Selon l'encyclopédie (242 volumes parus de 1773 à 1858) du Berlinois Johann Georg Krünitz (1728-1796), un col est à la fois un "passage étroit et malaisé, en particulier d'un pays vers un autre", et une "invitation à poursuivre son chemin librement". Géographiquement, il s'agit d'un passage, dans une chaîne montagneuse, entre les bassins de deux cours d'eau, ou bien d'un défilé, d'une gorge ou d'une cluse permettant de franchir un obstacle du relief. Les anciens itinéraires de cols sont cartographiés et décrits par l'Inventaire des voies de communication historiques de la Suisse.

Cols et relief

Dans le Jura plissé, le trafic s'écoule par les vallées longitudinales parallèles aux chaînons et par les cluses transversales. Le Plateau est creusé de larges vallées, tant au pied du Jura qu'à celui des Préalpes. On trouve dans les Préalpes des cols entre les différents bassins des rivières: Stoos, Ricken, Albis, Sattelegg, Schallenberg, par exemple. Dans les Alpes, les cols longitudinaux (Forclaz, Furka, Oberalp) relient les hautes vallées du sillon central (Rhône, Reuss, Rhin), tandis que les cols transversaux franchissent les chaînes montagneuses (Grand-Saint-Bernard, Grimsel, Gries, Gothard, Lukmanier, Splügen, Simplon). Lors des périodes glaciaires, ils étaient normalement recouverts par les glaciers qui y rabotèrent de larges auges de col (gradins de transfluence); aujourd'hui le chemin se faufile entre roches moutonnées, lacs et marais.

L'articulation des chaînes de montagne a déterminé les grands axes du trafic de transit: entre Jura et Alpes, le Plateau forme un corridor est-ouest, qui croise les nombreuses vallées transversales des Alpes, orientées nord-sud. Les cols du Jura font communiquer le Plateau avec le Haut-Rhin et la Bourgogne; à l'ouest, ils sont utilisés, dans le prolongement du Grand-Saint-Bernard et du Simplon, pour relier l'Italie à la France (Voies de communication).

Les transports: besoins et moyens

Avant l'ère industrielle, les chemins locaux et régionaux, qui permettaient aux villageois de gagner soit leurs champs et, en montagne, leurs habitats saisonniers, soit les villes et bourgs dont ils fréquentaient les marchés, étaient plus importants, pour la majorité, que les voies de grand transit européen. Celui-ci amenait en Suisse des produits de luxe; dans les Alpes, il ne touchait en fait qu'un petit nombre de vallées, dont les habitants tiraient des revenus accessoires des transports et de l'entretien des routes.

Le choix des moyens de transport dépendait de la topographie et de la qualité des routes. Sur les lacs et les voies d'eau qui s'y prêtaient, la navigation était usuelle. Le voiturage se pratiquait jusqu'au pied des cols; au-delà, les muletiers prenaient le relais (Sommage). Cette pratique impliquait de nombreuses ruptures de charge; elle cessa, d'abord dans le Jura et sur le Plateau, plus tard dans les Alpes, avec la construction des chaussées et des chemins de fer.

L'organisation des transports et ses grandes étapes

Aux époques préhistoriques, des chasseurs et cueilleurs, voire quelques commerçants, suivaient des chemins dessinés par la nature à travers la montagne ou formant en plaine l'ébauche d'un réseau. Cependant, avant l'époque romaine, les traces de passage et les vestiges d'habitat ne permettent pas de reconstituer les tracés.

Les Romains commencèrent par éviter les Alpes. C'est ainsi qu'ils conquirent la Gaule, sous Jules César, en y pénétrant par la vallée du Rhône. Mais sous Auguste, l'anéantissement des Salasses du val d'Aoste (25 av. J.-C.) leur ouvrit le Grand-Saint-Bernard; ils soumirent ensuite le Valais et la Rhétie (17-16 av. J.-C.). Ainsi disposèrent-ils des cols alpins tant à l'est qu'à l'ouest du futur territoire suisse. Sous Claude (41-54 apr. J.-C.), ils aménagèrent deux axes de haute importance stratégique; l'un, à l'ouest, passait par le Grand-Saint-Bernard et le col de Jougne pour gagner la Gaule et la Manche; l'autre, la via Claudia Augusta, reliait Altinum (auj. Altino) sur l'Adriatique à l'Inn et au Danube par le col de Reschen (Resia, un peu à l'est de la frontière suisse). Après la construction du camp de Vindonissa (Windisch), sous Tibère, les deux transversales alpines devinrent des routes intégrées au réseau des messageries impériales (cursus publicus), équipées à cet effet de relais pour les chevaux, de logis d'étape et de postes militaires. D'après les connaissances actuelles, certains cols grisons (région de la Maloja et du Julier) autorisaient le passage de chars à un essieu, mais ceux du Valais n'étaient pas carrossables; on franchissait à pied de nombreux cols des Alpes valaisannes, bernoises, uranaises et grisonnes.

Le haut Moyen Age vit diminuer le volume et la sécurité du trafic; des voies romaines ne subsistèrent que quelques tronçons dans le diocèse de Sion (route du Grand-Saint-Bernard) et aux Grisons, où princes laïques et ecclésiastiques continuèrent de passer certains cols pour des expéditions militaires ou pour se rendre en pèlerinage à Rome. Il en résulta la fondation de l'abbaye de Disentis vers 750. Sous les Carolingiens, les routes principales du diocèse de Coire allaient des lacs de Constance et de Walenstadt vers le Lukmanier, le Splügen, le Septimer et le Julier (avec prolongement vers le col de Reschen); de nouveaux relais y apparurent. Dans les territoires de colonisation alémanique du flanc nord des Alpes, dans le Haut-Valais et de là dans les régions occupées par les Walser, un trafic local et régional se développa peu à peu par la Gemmi, le Lötschen, le Grimsel, le Gries, la Furka, l'Oberalp, le Monte Moro et le Valserberg.

Le transit des personnes et des marchandises à travers les Alpes ne reprit que vers la fin du XIIe s. Venant de Milan et de Venise, des marchands italiens souhaitaient se rendre aux foires de Champagne et en Europe du Nord. Pour répondre à leur demande, on ouvrit ou rouvrit des sentiers muletiers et le trafic commença à se ranimer après une longue interruption, tant aux Grisons (Septimer, Julier, Maloja, Splügen, San Bernardino, Lukmanier) qu'en Valais (Grand-Saint-Bernard, Simplon). L'aménagement de la route des Schöllenen, entre 1218 et 1230, fit du Gothard une nouvelle voie de transit et un enjeu politique. Malgré des travaux coûteux, les autres cols (Septimer, Lötschen, Grimsel-Gries) ne purent rivaliser avec lui.

Vue d'Hospental en 1843, lithographie en couleurs de George Barnard (Musée de la communication, Berne).
Vue d'Hospental en 1843, lithographie en couleurs de George Barnard (Musée de la communication, Berne). […]

Plusieurs cantons firent un pas décisif au milieu du XVIIIe s., quand ils reconnurent que la construction de chaussées carrossables soutenait le commerce, augmentait les revenus des douanes, encourageait les métiers locaux et donnait de l'occupation aux indigents. Berne lança son programme routier en 1742, Lucerne, Zurich, Zoug et l'évêché de Bâle le leur vers 1760. Dans les Alpes suisses, la première réalisation de ce genre fut la route du Simplon, construite de 1800 à 1805 sur ordre de Bonaparte. Conçue pour des besoins militaires, elle devint vite une voie appréciée des touristes, tout en servant au transport de marchandises. Les routes commerciales grisonnes du San Bernardino et du Splügen (1818-1823), puis celle du Gothard (1830) permirent de transporter davantage de personnes et de marchandises, moins cher et plus rapidement (cinq jours au lieu de dix entre Coire et Bellinzone, soit 125 km). Elles favorisèrent l'essor économique et la création d'emplois dans l'import-export, l'hôtellerie et les arts et métiers.

En 1848, les ponts et routes d'importance nationale passèrent sous la surveillance de la Confédération. L'armée exigeait des routes alpestres. L'Assemblée fédérale décida en 1861 de construire les routes de la Furka et de l'Oberalp, ainsi que l'"Axenstrasse" le long du lac d'Uri. En même temps, le canton des Grisons obtint un crédit pour aménager les routes de l'Albula (1865) et de la Bernina (1866), que suivirent celles de la Flüela (1867), de l'Ofenpass (1872), de la Landwasser (1873), du Lukmanier (1877) et de l'Umbrail (1901). Les cantons d'Uri, des Grisons, du Tessin et du Valais reçurent dès 1872 une contribution annuelle, augmentée en 1927, pour l'entretien des routes alpestres. Les routes du Jaun (Bellegarde, 1872, 1878), du Pillon (1885), du Grimsel (1891-1894), du Grand-Saint-Bernard (1893) et du Klausen (1899) répondirent à des motifs d'abord militaires, plus tard surtout économiques.

La concurrence du chemin de fer (ligne du Brenner en 1867, tunnel du Mont-Cenis en 1872, Gothard en 1882) fit diminuer de 80% le trafic routier traditionnel de marchandises par les cols grisons entre 1856 et 1874; elle l'anéantit au Gothard.

La motorisation créa une situation nouvelle dès les années 1920; dans les Alpes, elle accrut le trafic touristique, notamment après l'introduction des autos postales (1919). Un arrêté fédéral de 1935 sur l'aménagement des routes alpestres permit la construction de celle du Susten (1938-1945). Pendant la Deuxième Guerre mondiale, de nouvelles voies furent ouvertes dans les zones frontières et dans le Réduit. La route du Nufenen (1961) fut une réalisation tardive.

Après la Deuxième Guerre mondiale, l'essor du trafic motorisé imposa la création d'un réseau autoroutier, approuvé en 1960 (loi fédérale sur les Routes nationales). Le trafic de transit se concentra sur un petit nombre d'axes (Simplon, aménagé dès 1957) et de tunnels (Grand-Saint-Bernard, 1964; San Bernardino, 1967; Gothard, 1980, où il continue de croître).

Bilan

Dans le domaine du trafic transalpin, ce sont les centres urbains intéressés, déjà en position économique dominante, qui ont propagé les innovations techniques. Ainsi s'est mis en place un processus de croissance exponentiel, accéléré par la spécialisation des tâches et la mondialisation. Ce phénomène profite à de grandes villes éloignées des Alpes, mais pour les habitants des vallées qui subissent le trafic, il entraîne des inconvénients tant écologiques qu'économiques. C'est pourquoi le peuple suisse a approuvé le projet des nouvelles lignes ferroviaires alpines (NLFA) en 1992, puis en 1994 une initiative visant à protéger les zones alpines contre les nuisances du trafic de transit; il s'agit, en collaboration avec l'Union européenne, de freiner la croissance des transports de marchandises par la route en favorisant leur transfert sur le rail.

Sources et bibliographie

  • K. Aerni, «Alpentransversale und inneralpine Erschliessung», in Umbruch im Berggebiet, éd. E.A. Brugger, 1984, 453-478
  • K. Aerni, H.E. Herzig, éd., Historische und aktuelle Verkehrsgeographie der Schweiz, 1986
  • K. Aerni, «Sic transit gloria alpium», in Transit, éd. P.C. Mayer-Tasch et al., 1990, 162-202
  • K. Aerni, «1000 Jahre Siedlung und Verkehr im schweizerischen Alpenraum», in Siedlungsprozesse an der Höhengrenze der Ökumene, éd. K. Aerni et al., 1991, 9-42
  • M. Körner, «"Berg", "Gebirg" und "Pässe" bei Andreas Ryff und Heinrich Schickhart um 1600», in Quand la montagne aussi a une hist., éd. M. Körner, F. Walter, 1996, 265-278
  • R. Kaiser, Churrätien im frühen Mittelalter, 1998
  • H.-U. Schiedt, «Trampelpfade und Chausseen», in Traverse, 1999, no 2, 17-35
Liens

Suggestion de citation

Klaus Aerni: "Cols", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 27.09.2010, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/007963/2010-09-27/, consulté le 28.03.2024.