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Protestantisme

Premier volume de l'Histoire de la Réformation de la Suisse d'Abraham Ruchat publié à Genève en 1727 (Bibliothèque cantonale et universitaire Lausanne).
Premier volume de l'Histoire de la Réformation de la Suisse d'Abraham Ruchat publié à Genève en 1727 (Bibliothèque cantonale et universitaire Lausanne). […]

Le terme de protestantisme recouvre les diverses manifestations historiques du christianisme issues de la Réforme du XVIe s. Il rappelle la "protestation" élevée en 1529 à la Diète impériale de Spire par la minorité réformée, pour se défendre contre l'abrogation, par la majorité catholique, de l'arrêté de 1526 grâce auquel la Diète unanime avait permis l'introduction de la Réforme en suspendant l'édit de Worms (il s'agissait donc d'une protestation contre la Diète et non contre l'Eglise catholique). Les Etats réformés furent dès lors qualifiés de "protestants". Apparu au XVIIIe s., le substantif dérivé devint au XIXe s. le pendant de catholicisme. L'adjectif protestant est synonyme d'évangélique. Contrairement au catholicisme, le protestantisme n'a ni doctrine ni organisation unitaires; il comprend les Eglises évangéliques réformées (Zwinglianisme, Calvinisme, Eglises libres), l'Eglise luthérienne, l'anabaptisme, l'Eglise anglicane et nombre de sectes et Eglises libres. La Suisse est avec l'Allemagne l'un de ses berceaux.

La Réforme et le "temps des confessions" (1523-1712)

Les aspirations des cantons confédérés à l'autonomie, la critique humaniste contre la société d'ordres et un anticléricalisme populaire latent favorisèrent la Réforme à Zurich (1523), Saint-Gall (1524), Berne (1528), Bâle (1529), Schaffhouse (1529) et Genève (1536). La foi nouvelle y fut introduite par les conseils qui revendiquèrent l'autorité en matière spirituelle, ce que les anabaptistes refusèrent. Des institutions caractéristiques apparurent: les pasteurs, réunis en synodes, remplacèrent les évêques; assemblés en congrégation, ils réglèrent les questions théologiques; siégeant avec des conseillers dans les consistoires, ils surveillaient les mœurs. La paix nationale de 1531, consécutive à la défaite des protestants dans la seconde guerre de Kappel, scella la division confessionnelle de la Confédération.

A l'époque du confessionnalisme, des Eglises d'Etat se formèrent dans les pays protestants. Les ordonnances ecclésiastiques et les confessions de foi étaient soumises à l'approbation des autorités laïques, l'Eglise prêchait et enseignait la doctrine officielle (Prédication, Chant d'Eglise, Catéchisme). Des confessions de foi (Bâle, 1534; Genève, 1536) fixaient les lignes générales de la doctrine; certaines d'entre elles furent reconnues dans plusieurs cantons: Confessions helvétiques de 1536 et 1566, Consensus tigurinus" de 1549, articles de Schleitheim (1527) pour les anabaptistes. Des académies furent fondées où se formaient les élites protestantes. Au début du XVIIe s., l'orthodoxie protestante prédominait dans tous les cantons réformés. La seconde guerre de Villmergen (1712) apporta en Suisse la parité confessionnelle.

Le piétisme et les Lumières (1690-1815)

Le piétisme et le mouvement des Lumières tentèrent de dépasser la théologie scolaire et opposèrent la moralité vécue à l'orthodoxie doctrinale. Apparu à la fin du XVIIe s. et vivement combattu par les autorités, le piétisme finit cependant par se faire admettre au sein des Eglises. Les frères moraves, les frères de Heimberg ou les communautés d'inspirés se rattachent à cette tendance, dont Samuel König et Béat Louis de Muralt se firent connaître à l'étranger comme des représentants radicaux.

Les idées des Lumières, propagées par Jean-Jacques Rousseau, Albert de Haller et Johann Kaspar Lavater, rencontrèrent un vif écho dans les milieux protestants. Elles amenèrent à critiquer l'autorité des Eglises et le caractère contraignant des confessions de foi, à encourager la formation de convictions religieuses individuelles, basées sur trois grands concepts: Dieu, la liberté et l'immortalité. Théologiens et auteurs de livres de piété accueillirent avec respect les notions de raison, d'expérience vécue, de conscience et de nature. La Société helvétique réunit dès 1761/1762 des partisans des Lumières qui voulaient renforcer la cohésion politique de la Suisse et abolir sa division confessionnelle. Vers la fin du XVIIIe s., l'orthodoxie protestante perdit sa prépondérance, la majorité des pasteurs étant acquis aux Lumières. Celles-ci, comme le piétisme, individualisèrent les pratiques et relativisèrent l'autorité des Eglises établies, préparant ainsi les profondes mutations institutionnelles du XIXe s.

La République helvétique proclamée en 1798 bouleversa les rapports entre l'Eglise et l'Etat et sembla vouloir rompre leurs liens: les Eglises devaient encourager un comportement moral, l'Etat sécularisé devait garantir les droits civiques, notamment la liberté de croyance, de conscience et de culte. Pour la première fois, les anabaptistes furent officiellement reconnus. En revanche, sous la Médiation et la Restauration, l'Etat tendit à renforcer son autorité sur l'Eglise, avec le soutien des libéraux et des radicaux. Les Eglises protestantes officielles confortèrent partout leur position, sauf dans le domaine scolaire, qui ne revint pas dans leur giron.

Réveil, pluralisme et œcuménisme (après 1815)

Les mouvements du Réveil cherchèrent à renouveler le protestantisme en revenant à certains éléments traditionnels, sur lesquels ils mirent l'accent, comme l'autorité de l'Ecriture, la gravité du péché, l'élection, le salut personnel. De nombreuses associations se vouèrent, parallèlement aux Eglises, à des buts religieux, pédagogiques ou caritatifs. A Bâle, la Société chrétienne allemande (Deutsche Christentumsgesellschaft, 1780) fut à l'origine de la Société biblique (1804) et de la Mission de Bâle (1815). A Genève, le Réveil s'opposa au climat rationaliste qui régnait dans l'Eglise et à l'académie. Des Eglises libres se séparèrent des Eglises nationales en Suisse romande (Genève, Vaud, Neuchâtel, Jura bernois), tandis qu'en Suisse alémanique une telle scission n'eut pas lieu.

Après 1848, la démocratisation à l'œuvre dans le champ politique toucha aussi l'organisation ecclésiastique. Les Eglises nationales se dotèrent de conseils synodaux (exécutifs) et de synodes (législatifs) où s'affrontèrent libéraux et conservateurs. Les adeptes de la théologie libérale, tel Alois Emanuel Biedermann, défendaient une interprétation moderne de la Bible et de la confession de foi, ainsi qu'une adaptation correspondante de la liturgie et du catéchisme. Ils obtinrent lors de la querelle sur la confession de foi l'abolition de l'usage obligatoire du Symbole des apôtres. Les conservateurs, dits aussi "positifs", comme Christoph Johannes Riggenbach, militaient pour la tradition doctrinale et ecclésiale, tandis que les modérés conciliateurs comme Karl Rudolf Hagenbach cherchaient une voie médiane. Au XXe s., les sociaux-religieux, parmi lesquels Hermann Kutter et Leonhard Ragaz, entrèrent dans la voie d'un dialogue entre l'Eglise et le socialisme. Poussés par les horreurs de la Première Guerre mondiale vers une attitude pacifiste et antimilitariste, ils luttèrent pour une société plus juste. Cette tendance marqua longtemps le protestantisme au XXs. La présence en Suisse du méthodisme, des darbystes, du baptisme, de la communauté de Chrischona, des adventistes du septième jour, de l'Armée du Salut et de l'Eglise néo-apostolique remonte au XIXe s.

Le professeur de théologie Karl Barth dans son bureau à l'université de Bâle en 1962 © KEYSTONE/Photopress.
Le professeur de théologie Karl Barth dans son bureau à l'université de Bâle en 1962 © KEYSTONE/Photopress. […]

Après la Première Guerre mondiale, des tenants de la théologie dialectique, comme Karl Barth, Emil Brunner et Eduard Thurneysen, tentèrent un renouveau théologique. Les Eglises cantonales fondèrent en 1920 la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse (FEPS), qui leur servit de porte-parole auprès des autorités fédérales, de la Conférence des évêques suisses et des milieux œcuméniques internationaux. En 1940, la FEPS décida d'adhérer au Conseil œcuménique des Eglises. Après la Deuxième Guerre mondiale, le protestantisme s'activa dans les domaines de l'éthique sociale, du développement et de l'écologie. Depuis le milieu du XXe s., de plus en plus de femmes occupent des postes de pasteur à plein temps. L'œcuménisme conduisit sur plusieurs points à un rapprochement formel des confessions.

Au début du XXIe s., le protestantisme est confronté à une société multiconfessionnelle. L'individualisation et la diversité des visions du monde et des genres de vie ont dissous les liens traditionnels avec les institutions ecclésiastiques. La part des protestants dans la population suisse s'est fortement réduite (56% en 1950, 33% en 2000). Comme la société, le protestantisme s'est pluralisé. Restant lié aux milieux œcuméniques, il encourage le changement social sur le plan international, national et cantonal, surtout dans les rencontres avec d'autres confessions et religions.

Sources et bibliographie

  • R. Pfister, Kirchengeschichte der Schweiz, 2, 1974; 3, 1984
  • L. Vischer et al., éd., Hist. du christianisme en Suisse, 1995 (all. 1994, 21998)
  • F. Citterio, L. Vaccaro, éd., Storia religiosa della Svizzera, 1996
  • TRE, 30, 682-712
  • Religion in Geschichte und Gegenwart, 7, 42004, 1064-1071
  • P. Aerne, Religiöse Sozialisten, Jungreformierte und Feldprediger, 2006
Liens

Suggestion de citation

Martin Sallmann: "Protestantisme", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 14.12.2011, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/028700/2011-12-14/, consulté le 19.03.2024.