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Transports

Par transports, on entend le déplacement de personnes, de marchandises et d'informations le long de voies de communication et par différents moyens de transport. Le présent article se concentre sur le développement de la circulation des personnes et des marchandises par voie terrestre et par voie d'eau entre le XVIIIe et le XXe s., époque où l'évolution des transports fut un facteur essentiel dans la modernisation des modes de vie et des conditions de travail. Tandis que la recherche traditionnelle concentrait ses études sur l'essor des chemins de fer, considéré comme un phénomène autonome et comme l'essence de la révolution des transports, une approche historique nouvelle donne davantage d'importance à l'interaction des différentes techniques de transport, ainsi qu'aux nouveaux moyens de communication (Télécommunications); elle souligne aussi l'évolution intervenue dans ce domaine à partir du XVIIIe s. déjà, sans méconnaître pour autant le rôle déterminant que l'amélioration des moyens de transport a joué dans la révolution industrielle et le phénomène moderne de la globalisation.

Du XVIIIe au début du XXIe s., le développement des transports fut surtout marqué par une croissance considérable à plusieurs égards: le volume du trafic voyageurs et marchandises s'accrut constamment, de même que le nombre des moyens de transport et leur capacité respective. Ceux-ci devinrent plus rapides, plus confortables, les distances parcourues s'allongèrent, les surfaces nécessaires aux infrastructures augmentèrent, le volume des capitaux investis grossit, les moyens de transport et donc les voyages devinrent plus sûrs à long terme. Parallèlement, les prix diminuèrent.

La modernisation du trafic routier et de la navigation aux XVIIIe et XIXe siècles

Au Moyen Age et à l'époque moderne, le transport de marchandises par voie terrestre était aussi pénible que lent. Au XVIIIe s., les cantons confédérés entreprirent la construction de routes carrossables (chaussées), à commencer par Berne (dès 1740 env.), dont la politique économique restait très imprégnée de mercantilisme; à la fin du siècle, un réseau de routes carrossables reliait entre elles les principales villes de la Suisse alémanique et romande. Des routes carrossables furent construites pour le passage des cols à partir de 1800; dès 1820, les cantons favorisèrent l'extension de leurs réseaux routiers. La bourgeoisie libérale montante soutenait désormais cette évolution, voyant dans la construction des routes et l'industrialisation naissante les conditions nécessaires à la prospérité économique.

La construction des chaussées, l'amélioration des réseaux routiers cantonaux, le développement technique des véhicules (Voitures et chars), les succès enregistrés dans l'élevage chevalin et l'apparition de nouveaux transporteurs permirent d'accélérer les déplacements, de voyager de nuit, de remplacer les bêtes de somme par des véhicules, dont la capacité de fret augmenta. Comme le relevaient déjà les revues spécialisées au début du XIXe s., la productivité des transports routiers pour le fret lourd s'accrut: elle fut doublée sur les longues distances et triplée, voire quadruplée, sur les courts trajets aux alentours des villes. Les chaussées rendirent les transports non seulement plus rapides, mais aussi plus ponctuels et plus fiables, favorisant l'essor des services de diligences postales. L'accélération et la régularité des transports sont donc antérieures à l'industrialisation.

En raison de l'amélioration des routes, la navigation sur les cours d'eau de Suisse, pratiquée surtout dans le sens du courant, perdit rapidement de son importance à partir du XVIIIe s. (Voies d'eau). Toutefois les nouveaux bateaux à vapeur (Motorisation) circulant sur les lacs offrirent une alternative réelle pour le transport de personnes, de marchandises et pour la poste entre les années 1820 et 1870, notamment sur les axes Yverdon-Soleure et Walenstadt-Zurich. Un bateau à vapeur assura également la liaison entre Strasbourg et Bâle de 1838 à 1843.

L'âge du chemin de fer (environ 1850-1910)

De 1850 environ à 1910, le chemin de fer se développa en moyen de transport de masse (d'abord surtout pour les marchandises), révolutionnaire par sa vitesse et sa capacité. Mais son influence sur l'organisation du territoire ne se fit sentir que progressivement et en corrélation avec les autres types de transport. A ses débuts, le réseau ferroviaire, qui reliait principalement les centres urbains du Plateau, permit d'accroître considérablement le transport des marchandises, permettant ainsi aux villes de s'affranchir de leur arrière-pays pour leur approvisionnement en denrées alimentaires, en énergie et en matières premières, condition essentielle du progrès de l'urbanisation. Le charbon, importé, devint la base de l'industrie naissante, qui se libéra ainsi de sa dépendance à l'égard de l'énergie hydraulique et du bois. L'économie et la population des villes raccordées au réseau ferroviaire (par exemple Zurich ou Olten) se développèrent considérablement, tandis que de vastes zones rurales restaient à l'écart des voies de communication. L'importation par le rail de céréales peu chères déclencha des crises dans les régions agricoles. Selon les statistiques ferroviaires, parmi les marchandises transportées durant la décennie 1870, près de 20% étaient des matériaux de construction, 20% des combustibles et 30% des produits alimentaires, à quoi s'ajoutent environ 700 000 têtes de bétail. Les importants besoins en capitaux que requérait la construction des voies ferrées favorisèrent la création de sociétés anonymes et d'instituts bancaires actifs au plan national, tels le Crédit suisse et la Banque des chemins de fer. Parallèlement à la construction des voies ferrées, les réseaux routiers secondaires continuèrent de se développer; dès lors surgit une seconde génération de gares, servant d'interfaces avec ces derniers. On ne recourait au transport par chars et charrettes que pour le trafic local; mais on y recourait davantage qu'avant l'ère du chemin de fer, ce qui était aussi vrai des diligences. En revanche, la navigation fluviale périclita; seul le Rhin devait conserver au XXe s. un rôle notable pour l'importation de marchandises. Avec l'avènement du tourisme, la navigation lacustre devint importante; mais elle ne constituait qu'exceptionnellement un moyen de transport régulier de personnes (par exemple sur le lac des Quatre-Cantons).

Dans une deuxième phase (env. 1880-1910), le développement du chemin de fer se caractérisa surtout par sa pénétration dans l'arc alpin, la forte augmentation du trafic voyageurs et l'essor du tramway dans les centres urbains. Alors qu'entre 1850 et 1870 le trafic voyageurs se concentrait sur les grandes lignes, la tendance s'inversa au début du XXe s. en faveur du trafic local. La longueur totale des lignes de tram en Suisse passa de 85 km en 1890 à 422 en 1910. On dénombra, en Suisse, 240 millions de voyageurs en 1910 (contre 25 millions en 1880), dont plus de la moitié étaient des usagers du tram. Ce développement du trafic local correspondait à une division spatiale des fonctions dans les villes, dont les centres attiraient de plus en plus les entreprises de services, tandis que la population à la recherche de logements bon marché et les entreprises industrielles étaient reléguées à la périphérie, dans les agglomérations alors naissantes. Le nombre des navetteurs ne cessa d'augmenter, de même que les distances à parcourir; jusque dans l'entre-deux-guerres, la bicyclette joua, à côté du bus et du tram, un rôle essentiel pour ce genre de déplacements. En revanche, certaines régions écartées se dépeuplèrent.

Dans la troisième phase (env. 1910-1970), le développement du chemin de fer perdit de son dynamisme, notamment parce que la dette grevant la nouvelle entreprise des CFF jusqu'en 1944 ne permit guère d'investir dans des innovations coûteuses. On procéda néanmoins à l'électrification du réseau et au doublement des voies sur les grandes lignes. A son apogée en 1936, le réseau ferroviaire suisse atteignait presque 5900 km.

La motorisation (environ 1920-1980)

En Suisse, l'automobile fit son apparition vers 1900, d'abord dans les villes. Elle était alors bien plus coûteuse qu'une calèche. Elle resta longtemps impopulaire parce qu'elle était perçue comme envahissante et faisait beaucoup de bruit et de poussière. Plusieurs cantons prohibèrent la circulation automobile sur certains tronçons, les Grisons connurent même une interdiction générale jusqu'en 1925. Dès 1910 environ, la voiture, devenue plus fiable, put s'utiliser sans devoir recourir à un chauffeur ou à un mécanicien. D'abord apanage des classes aisées, elle devint, dans l'entre-deux-guerres, accessible à la classe moyenne supérieure, tandis que les ouvriers se tournaient vers la motocyclette ou le cyclomoteur, moins coûteux. La première ligne d'autobus de Suisse fut établie en 1905. Dès 1920 environ, des innovations techniques (pneumatiques) entraînèrent l'augmentation du parc de camions. L'animosité à l'égard de l'automobile diminua dans l'entre-deux-guerres, notamment du fait que, sur de nombreuses routes, l'empierrage fut remplacé par un revêtement en dur, pour éviter la poussière, et parce que la réglementation juridique des différends nés de la circulation progressait (introduction de la responsabilité civile causale du détenteur du véhicule). A partir des années 1920, les camions vinrent concurrencer les chars, au début surtout sur les courtes distances et dans les villes, tandis qu'à la campagne la traction animale restait répandue (Entreprises de transports). De seulement 370 voitures en 1902 et 5411 en 1914, on passa déjà à 55 149 en 1929. Le nombre des camions crût de 17 en 1902, à 920 en 1914, puis à 15 905 en 1929 (selon Christoph Maria Merki).

Des employés de l'entreprise de transports Julius Meier à Baden devant l'un de leurs camions-remorques. Photographie anonyme, vers 1905 (Musée national suisse, Zurich).
Des employés de l'entreprise de transports Julius Meier à Baden devant l'un de leurs camions-remorques. Photographie anonyme, vers 1905 (Musée national suisse, Zurich).

La crise économique mondiale et surtout la Deuxième Guerre mondiale entraînèrent une démotorisation partielle. Le nombre des voitures était tombé à 18 279 en 1945, tandis que celui des camions, utilisés principalement à des fins militaires et pour l'approvisionnement du pays, avait quelque peu augmenté pour atteindre 21 673. Entre 1930 et 1950 environ, le camion, qui jusque-là n'avait fait que compléter le transport par rail pour la desserte locale, se mit à le concurrencer aussi sur les longues distances; l'échec définitif de la réglementation, réclamée par les chemins de fer dans l'après-guerre pour limiter la concurrence, ne fut pas étranger à cette évolution.

Après la Deuxième Guerre mondiale, on assista à la motorisation de masse; le nombre des automobiles s'élevait, en 2002, à 3 700 951, soit une voiture pour deux habitants. Cette même année, on dénombrait 290 442 camions et autocars. Ce triomphe s'explique notamment par l'accroissement du pouvoir d'achat de la population, la diminution relative du prix des véhicules et de leur entretien, le coût avantageux du carburant, un aménagement du réseau routier orienté prioritairement sur les besoins du trafic motorisé (Routes nationales) et d'autres motifs non économiques; par exemple, l'automobile continua d'être perçue comme un symbole de statut social. L'affectation à la route (principalement à des investissements dans les infrastructures) du produit des redevances sur les carburants a aussi contribué à l'augmentation du trafic automobile. Un certain temps, la bicyclette passa de mode, tandis que le rail devint, jusqu'à la fin du XXe s., toujours moins attrayant pour le transport aussi bien des voyageurs que des marchandises. Alors que la longueur totale du réseau ferroviaire restait, de 1960 à 2010, pratiquement inchangée, comptant environ 5100 km, celle du réseau routier passait de 55 934 à 71 452 km. En 1950, le transport de marchandises par rail, avec 2,211 milliards de tonnes-kilomètres, devançait encore nettement le transport par camions qui en comptabilisait 903 millions. A partir des années 1980, le rapport s'inversa. En 2000, le rail enregistra 11,08 milliards de tonnes-kilomètres (niveau qui ne varia guère dans la décennie suivante), contre 13,618 milliards pour la route (17,142 milliards en 2010).

La motorisation de masse favorisa une dispersion spatiale croissante des activités (zones distinctes pour l'habitat, le travail, le commerce, les loisirs). Une partie de la population des villes s'installa à la campagne, les bureaux et les centres commerciaux essaimèrent dans les quartiers extérieurs des agglomérations, qui connurent une urbanisation rampante. La suburbanisation créa un trafic accru. Les moyens de transport, surtout routiers, requirent de plus en plus d'espace (routes, autoroutes, places de parc); l'exode vers la campagne entraîna le mitage du paysage. De 1946 à 1971, le nombre des accidents de la route ayant entraîné des dommages corporels passa de 9480 à 29 455; celui des décès qu'ils causèrent augmenta de 464 à 1773. Ces deux nombres diminuèrent ensuite (19 609 et 327 en 2010).

Le trafic combiné de la fin du XXe siècle

Affiche publicitaire des CFF réalisée par Kurt Wirth, 1976 (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).
Affiche publicitaire des CFF réalisée par Kurt Wirth, 1976 (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).

Avec l'émergence du mouvement écologique, qui soumit à une critique fondamentale la société industrielle et sa conception de la croissance économique, les coûts sociaux du trafic automobile devinrent dans les années 1970 un sujet de discussion publique, à travers des thèmes comme le smog estival et la mort des forêts. Dans les années 1950 et 1960 déjà, certaines villes avaient réagi à l'augmentation du trafic routier en établissant une planification des transports. A partir des années 1970 ou 1980, les transports publics furent revalorisés et la bicyclette redevint un moyen de transport et une activité sportive populaires. La Confédération élabora, dans les années 1970, une conception globale des transports, qui visait une meilleure coordination entre les différents types de transports, mais aussi entre la politique des transports et d'autres domaines, comme l'aménagement du territoire et la politique économique. Bien que rejeté par le peuple en 1988, le projet de "politique coordonnée des transports" contenait des mesures qui furent reprises ultérieurement, telles la taxe poids lourds et l'assouplissement de l'affectation du produit des droits de douane sur les carburants. On entreprit aussi de moderniser en profondeur les chemins de fer et d'en accroître l'attrait (introduction de l'horaire cadencé en 1982, adoption du projet Rail 2000 en 1987, ouverture du S-Bahn à Zurich en 1990, adoption du projet des nouvelles transversales alpines en 1992, réforme des chemins de fer). En 1994, le peuple, en acceptant l'initiative dite des Alpes, se prononça en faveur du transfert de la route au rail du trafic marchandises à travers les Alpes; la loi d'application entra en vigueur en 2001.

Malgré ce développement, sur un total de plus de 100 milliards de voyageurs-kilomètres en 2000, seuls 19,237 échurent aux transports publics (18,5%). En 2005, la population suisse a parcouru, en Suisse et à l'étranger, environ 19 000 km par personne; la part de l'automobile a été de 55%, celle des transports publics de 19%, celle de l'aviation de 18% et celle de la "mobilité lente" (bicyclette, marche à pied) de 4%. Le secteur des transports absorbe un tiers de la consommation totale d'énergie en Suisse; il est à l'origine d'une part importante des émissions de CO2. De 2000 à 2010, les prestations du rail passèrent de 12,620 milliards de voyageurs-kilomètres à 19,177 et celles de la route (trafic privé) de 83,152 milliards de voyageurs-kilomètres à 90,666. Au début du XXIe s., le trafic continua donc de croître sans discontinuer.

Sources et bibliographie

  • T. Frey, L. Vogel, "Und wenn wir auch die Eisenbahn mit Kälte begrüssen...", 1997
  • F. Sager, «Spannungsfelder und Leitbilder in der schweizerischen Schwerverkehrspolitik 1932 bis 1998», in RSH, 49, 1999, 307-332
  • B. Fritzsche et al., Historischer Strukturatlas der Schweiz, 2001, 49-88
  • R. Frick et al., La pendularité en Suisse, 2004 (all. 2004)
  • C.M. Merki, «Vom "Herrenfahrer" zum "Balkanraser"», in RSH, 56, 2006, 46-56
  • C.M. Merki, Verkehrsgeschichte und Mobilität, 2008
  • H.-U. Schiedt et al., éd., Hist. des transports, 2010
  • G. Duc, Les tarifs marchandises des chemins de fer suisses (1850-1913), 2010
Liens

Suggestion de citation

Philipp von Cranach: "Transports", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 15.01.2014, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/013898/2014-01-15/, consulté le 12.04.2024.