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Réforme

On appelle Réforme ou Réformation l'ensemble des événements qui aboutirent à la division de l'Occident chrétien entre catholiques, tenants de l'ancienne foi, et protestants, adeptes de la foi nouvelle (Protestantisme). La reformatio voulait transformer la foi et l'Eglise; elle secoua l'Europe du XVIe s. et eut de très vastes conséquences politiques, sociales et culturelles. La Suisse fut pendant plusieurs décennies l'un des centres de ce mouvement, dans lequel Ulrich Zwingli à Zurich et Jean Calvin à Genève jouèrent un rôle essentiel, avec le Saxon Martin Luther à Wittenberg. Plus que ce dernier, les réformateurs suisses étaient influencés par l'humanisme et souhaitaient changer le monde d'ici-bas. A leurs conceptions religieuses se mêlaient des idées politiques et sociales. On est frappé par l'absence des femmes dans la conduite de la Réforme en Suisse, par comparaison avec d'autres régions.

L'Eglise et la vie religieuse à la veille de la Réforme

Il existe des appréciations divergentes parmi les historiens sur la situation de l'Eglise d'Occident à la veille de la Réforme. Les uns parlent de crise, due à des pratiques abusives suscitant un anticléricalisme latent, les autres soulignent une spiritualité et une puissance intactes. En tout cas, on relève vers 1500 de nombreux indices, en Suisse comme ailleurs, d'une vive préoccupation des fidèles pour leur salut (Pastorale, Piété populaire). L'humanisme avait favorisé le développement d'une piété lettrée (Mysticisme, Devotio moderna). Bâle, par son université, la seule de Suisse à cette époque (Scolastique), et par ses imprimeurs (Imprimerie), attirait des érudits comme Erasme.

Des aspirations réformatrices n'avaient cessé de s'exprimer au cours du XVe s. Après les conciles de Constance et de Bâle, plusieurs évêques avaient émis des mandats pour améliorer la pastorale, convoqué des synodes et renforcé les compétences des doyens. Avec davantage de résultats, les communes urbaines et rurales s'efforçaient de prendre le contrôle des affaires ecclésiastiques: à la fin du XVe s. déjà, les titulaires de nombreuses charges étaient désignés par une autorité laïque et les tribunaux épiscopaux (Officialité) avaient souvent vu réduire leurs compétences. En Suisse centrale, de nombreuses communes avaient leur mot à dire dans le choix du curé et l'administration des biens paroissiaux (Patronage (droits)).

Cette concurrence entre institutions laïques et ecclésiastiques joua un rôle important dans la propagation de la Réforme. Mais d'autres facteurs intervinrent, notamment les intérêts politiques de Berne et de Zurich, les rivalités entre cantons-villes et cantons campagnards et, localement, les aspirations de sujets et de serfs maintenus dans un état de dépendance sociale, économique et politique.

La Réforme à Zurich

On considère que la Réforme débuta le 31 octobre 1517, quand Martin Luther fit afficher à Wittenberg ses thèses sur le trafic des indulgences, thèses bientôt imprimées à Nuremberg, Leipzig et Bâle. Après l'excommunication de Luther (janvier 1521), les autorités pontificales exigèrent l'application concrète de cette sanction et l'interdiction des idées "luthériennes". Les cantons tardèrent à réagir. Cependant, la Diète condamna en décembre 1522 les troubles qui avaient marqué les débuts de la Réforme à Zurich, première ville touchée.

Zwingli avait été nommé curé du Grossmünster à la fin de 1518. Entre 1520 et 1522, ses réflexions le menèrent à affirmer le principe de la justification par la foi seule (sola fide) et celui qui veut que la Bible soit le seul fondement de la foi (sola scriptura), idées centrales de la théologie réformée. Pendant le Carême de 1522, de la viande fut consommée avec ostentation au cours d'un repas en violation des règles du jeûne, ce qui fit scandale. Dans les semaines suivantes, Zwingli attaqua en chaire et dans ses écrits une série d'institutions, comme le célibat des prêtres, le culte des saints, les ordres mendiants et, avant la fin de l'année, l'autorité même de l'Eglise. En 1523, les destructions d'images se multiplièrent (Iconoclasme), des offices furent perturbés et, finalement, moines et nonnes quittèrent leurs couvents.

En soutenant Zwingli contre l'évêque de Constance, le Conseil de Zurich ne contribua pas peu au succès de la Réforme locale. Il organisa des disputes de religion, dont les conclusions inspirèrent la suite de son action. En collaboration avec les trois curés de la ville, il concrétisa les nouvelles idées. En juin 1524, le Conseil fit enlever les images dans les églises, en décembre il procéda à la sécularisation des biens du clergé. En avril 1525, la messe fut abolie à Zurich et la cène célébrée pour la première fois selon le rite zwinglien. La musique fut bannie du culte. La même année, Zwingli organisa des cours d'exégèse biblique, sous la forme d'une institution appelée Prophezey, qui deviendra la première école supérieure de théologie protestante (Académies). Ces cours aboutiront à la traduction allemande de la Bible, dite Bible de Zurich. Le Conseil créa en 1525 un consistoire pour remplacer l'officialité.

Zwingli s'appuyait principalement sur les corporations d'artisans, mais pouvait compter aussi sur le soutien de familles dirigeantes. Adversaire déclaré du service étranger, il craignait l'opposition des bénéficiaires de pensions. Quelques-uns de ses premiers partisans (tels Konrad Grebel, Felix Manz, Simon Stumpf) le poussaient à des changements plus radicaux. A la campagne, la Réforme s'accompagna de revendications politiques et sociales (guerre des Paysans de 1525).

Extension de la Réforme dans la Confédération

Les idées nouvelles se répandirent en Suisse grâce aux amis de Zwingli, tels Vadian (Joachim von Watt) à Saint-Gall, Johannes Dörig, Walter Klarer et Johannes Hess en Appenzell, Valentin Tschudi et Fridolin Brunner à Glaris, Johannes Comander et Jakob Salzmann aux Grisons, Sebastian Hofmeister à Schaffhouse (chassé de Lucerne en 1522), Berchtold Haller et Niklaus Manuel à Berne, Conrad Pellican, Wilhelm Reublin et Jean Œcolampade à Bâle. Nombre d'entre eux étaient prêtres; ils avaient étudié à Bâle et subi l'influence d'Erasme qui cependant n'adhéra jamais à la Réforme.

La chaire incorporée au jubé du Grossmünster de Zurich représentée dans un épisode concernant Jakob Roth, accusé de blasphème, relaté dans la chronique du chanoine Johann Jakob Wick (Zentralbibliothek Zürich, Handschriftenabteilung, Wickiana, Ms. F 34, fol. 51v).
La chaire incorporée au jubé du Grossmünster de Zurich représentée dans un épisode concernant Jakob Roth, accusé de blasphème, relaté dans la chronique du chanoine Johann Jakob Wick (Zentralbibliothek Zürich, Handschriftenabteilung, Wickiana, Ms. F 34, fol. 51v). […]

La force de conviction des prédicants fut un facteur décisif pour le succès de la Réforme en Suisse (Prédication), mais aussi la pression que les adeptes des nouvelles idées étaient capables d'exercer sur les autorités politiques. En 1523 déjà, des mandats furent émis à Berne, Bâle, Saint-Gall et Appenzell, prescrivant aux ecclésiastiques de fonder leurs prêches sur l'écriture uniquement, mais de ne pas diffuser les doctrines de Luther ou de Zwingli. La Réforme progressa d'abord surtout en Suisse orientale. Aux Grisons et à Saint-Gall, elle se combina avec des aspirations à l'autonomie politique. Les articles d' Ilanz (1524 et 1526) dépouillèrent l'évêque de Coire et les tribunaux ecclésiastiques de leur pouvoir temporel; ils donnèrent aux paroisses le droit de nommer leur curé. A Saint-Gall, Johannes Kessler et Vadian organisèrent des lectures bibliques régulières (appelées Lesinen). Vadian fut élu bourgmestre à la fin de 1525; les églises de la ville passèrent au culte réformé en 1526; l'abbé s'enfuit en 1527 et l'on cessa de dire la messe à l'abbatiale en 1528.

Zurich et Saint-Gall encouragèrent la Réforme en Appenzell, à Glaris et dans le bailliage commun de Thurgovie, où la chartreuse d'Ittingen fut pillée en 1524 (sac d' Ittingen). La landsgemeinde appenzelloise décida en 1525 de laisser chaque paroisse choisir son camp. Les rhodes extérieures (sauf Hérisau) embrassèrent la foi nouvelle, contrairement à la majorité des gens des rhodes intérieures (sauf Gais).

Résistances et nouveaux progrès

A Fribourg, le Conseil réprima énergiquement la Réforme. En 1524, les cinq cantons de Suisse centrale affirmèrent à Beckenried leur volonté de rester catholiques et condamnèrent les doctrines de Zwingli et de Luther avec celles de Jan Hus (Hussites). Les historiens ont expliqué ce choix, notamment, par l'importance du service étranger (que les réformés souhaitaient abolir) pour la Suisse centrale et plus récemment par l'autonomie dont celle-ci jouissait déjà en matière ecclésiastique.

Monnaie zurichoise contremarquée d'un calice (Kelchbatzen). Dessin réalisé en 1535 pour la chronique de la Suisse (Schweizerchronik bis zum Jahr 1534) de Heinrich Brennwald et Johannes Stumpf (Zentralbibliothek Zürich, Handschriftenabteilung, Ms. A 2, p. 379).
Monnaie zurichoise contremarquée d'un calice (Kelchbatzen). Dessin réalisé en 1535 pour la chronique de la Suisse (Schweizerchronik bis zum Jahr 1534) de Heinrich Brennwald et Johannes Stumpf (Zentralbibliothek Zürich, Handschriftenabteilung, Ms. A 2, p. 379). […]

En 1526, les cinq cantons convoquèrent une dispute à Baden, dans le but d'isoler Zurich. Mais leur manœuvre échoua; bien plus, Berne et Bâle se distancèrent d'eux. Dans ces deux villes, les élections de 1527 amenèrent aux conseils une majorité d'adeptes des idées nouvelles. Celui de Berne convoqua une dispute en janvier 1528. Quelques jours plus tard, il décida d'introduire la foi nouvelle; ce fut une étape décisive pour le succès de la Réforme en Suisse, car d'autres territoires suivirent bientôt l'exemple de la puissante Berne: Bienne la même année, Bâle et Schaffhouse en 1529; à Glaris, la landsgemeinde laissa chaque commune choisir sa confession. Le sud de l'évêché de Bâle adopta la Réforme sous l'influence des villes de Berne, Bienne et Bâle.

Dans chaque camp, les cantons conclurent des alliances qui mirent à l'épreuve la cohésion de la Confédération (Alliance chrétienne, Combourgeoisies chrétiennes). On parvint à éviter un conflit militaire en 1529 (guerres de Kappel). La première paix de Kappel reconnut la coexistence de territoires catholiques et protestants et autorisa la prédication de la Réforme dans les bailliages communs (Paix nationales).

Tandis qu'échouaient les tentatives de rapprochement entre Zwingli et Luther (Confession d' Augsbourg), la Réforme poursuivait sa progression dans la Confédération. Zurich continuait de l'encourager en Thurgovie, dans le Toggenbourg, dans la principauté abbatiale de Saint-Gall, à Bremgarten et dans les Freie Ämter. A l'ouest, Neuchâtel l'adopta avec le soutien de Berne (1530). Ces initiatives ulcéraient les cantons de Suisse centrale. Les tensions aboutirent à la seconde guerre de Kappel (1531), où Zurich et ses alliés furent défaits; la bataille fit quelque 500 morts, dont Zwingli lui-même. La seconde paix de Kappel autorisa chaque canton à déterminer sa confession; dans les bailliages communs, les paroisses réformées pouvaient revenir à l'ancienne foi (sans toutefois y être contraintes), mais il n'était plus question pour les paroisses catholiques de passer à la Réforme.

Institutionnalisation et conflits après 1531

La victoire de Kappel, qui donna aux catholiques une certaine suprématie pour une assez longue période, stoppa les progrès de la Réforme en Suisse orientale, notamment en Appenzell et à Glaris. L'abbé de Saint-Gall força une partie de ses sujets à revenir à l'ancienne foi. Les bailliages communs de Sargans et du Rheintal furent recatholicisés; celui de Thurgovie en revanche resta largement protestant. Soleure demeura catholique. La foi nouvelle s'étendit cependant à l'ouest, car la ville de Genève l'adopta en 1536 et Berne l'imposa dans le Pays de Vaud conquis la même année.

Le mouvement se poursuivit localement tout au long du XVIe s. Ainsi, aux Grisons, où les paroisses bénéficiaient de la liberté religieuse, la carte confessionnelle put encore se modifier; l'Engadine n'embrassa la Réforme que dans la seconde moitié du XVIe s. Une communauté protestante apparut à Locarno vers 1540; ses membres furent contraints en 1555 d'abjurer ou de s'exiler. D'autres se formèrent en Valais (à Loèche et à Sion) dans le dernier quart du XVIe s.; elles disparurent au XVIIe s.

Après le désastre de Kappel, les Zurichois de la ville et plus encore ceux de la campagne reprochèrent aux pasteurs de les avoir entraînés dans la guerre. C'est pourquoi le Conseil nomma antistès (chef) de l'Eglise zurichoise Heinrich Bullinger, que l'on pouvait présenter comme un homme de paix. Bullinger institutionnalisa l'œuvre de Zwingli, élaborant un modèle auquel les autres Eglises évangéliques réformées suisses tardèrent à se rallier: Berne par exemple attendit le milieu du XVIe s. Bâle hésita plus longtemps encore, à cause de tendances luthériennes vivaces; en outre, la ville universitaire offrit un refuge à des représentants de courants non reconnus.

La Réforme à Genève

Le juriste et humaniste français Jean Calvin, réformateur de la deuxième génération, donna au mouvement une nouvelle énergie. Chassé de France, il se rendit à Bâle et en juin 1536 à Genève, où Guillaume Farel le persuada de rester avec l'appui de Berne. Genève venait de conquérir sur la Savoie une fragile indépendance, d'expulser son évêque et d'abolir la messe. Cependant, Farel et Calvin ne se sentaient pas soutenus par le Conseil; ils durent quitter la ville au printemps de 1538.

En septembre 1541, Calvin regagna Genève, à la demande du Conseil, auquel il fit approuver en novembre les ordonnances ecclésiastiques dont il était le principal artisan et qu'il renforça au cours des années suivantes. Par la prédication, le catéchisme et le contrôle disciplinaire, il essaya, de concert avec la Compagnie des pasteurs, d'amener les citadins à vivre "chrétiennement". Jusqu'en 1555, des protestations ne cessèrent de s'élever contre les pasteurs, tous originaires de France, et contre le consistoire. La théologie de Calvin fut attaquée lors de procès au retentissement européen. Un renversement politique mit fin à la résistance contre les pasteurs français. En 1559 fut fondée une académie où seront formés de nombreux pasteurs et maîtres d'école de l'Europe calviniste (Calvinisme). Dans les années 1550, Genève abritait une trentaine d'imprimeries produisant surtout pour le marché français; elles publiaient de la propagande anticatholique, des ouvrages de réformateurs et, avec un énorme succès, des recueils de psaumes: le psautier français est l'une des plus grandes entreprises éditoriales du XVIe s. (chant d'Eglise).

Après quelques réticences, Calvin soutint la fondation d'Eglises clandestines. Dans toute l'Europe apparurent des communautés dites calvinistes, mais qui ne méritaient guère ce qualificatif, car, très disparates, elles s'inspiraient aussi de Zwingli, de Bullinger et de Martin Bucer.

La Réforme radicale

A côté des réformateurs reconnus, d'autres voix, comme celles des antitrinitaires ou des tenants du spiritualisme et de l'anabaptisme, exigèrent dès le début des années 1520, sans jamais obtenir le soutien des autorités, une Réforme que l'on a qualifiée de "radicale". Les historiens parlent aussi de "Réforme radicale" à propos de personnalités comme Bernardino Ochino ou Lelio Sozzini.

Le courant le plus fameux est celui de l'anabaptisme qui, parti de Zurich, trouva des adeptes au milieu des années 1520 à Schaffhouse, Saint-Gall, Appenzell et Bâle, puis à Soleure et surtout à Berne (groupes dans l'Emmental, difficiles à contrôler). Le débat sur l'anabaptisme marqua un tournant dans la Réforme, dans la mesure où il montra que la théologie protestante établie n'était pas prête à abandonner certaines traditions. Les anabaptistes, combattus à la fois sur le plan théologique et politique, furent poursuivis par les autorités laïques et ecclésiastiques jusqu'au XVIIIe s. Ce sont eux, et non plus les "papistes", que le successeur de Zwingli, Bullinger, considérait comme les pires adversaires de la "vraie Eglise". Calvin, tout comme Luther, Zwingli ou Bullinger, les attaqua dans ses écrits.

Conséquences

On met souvent en relation la Réforme avec des phénomènes caractéristiques de la modernité: liberté de croyance et d'opinion, pluralisme et démocratie, libéralisme et individualisme, mais cette causalité lointaine est contestée. Plus évidentes sont les conséquences immédiates du changement religieux, perceptibles dans les cantons protestants: les autorités politiques reprirent la haute surveillance sur l'Eglise (Eglise et Etat), la sécularisation des institutions ecclésiastiques retentit sur le cadre et les rythmes de la vie quotidienne (Année liturgique), des couvents furent transformés en hospices et hôpitaux, les pasteurs et leurs familles formèrent un nouveau groupe social au sein de la bourgeoisie. Comme il fallait initier à la foi nouvelle de nombreuses personnes (ecclésiastiques, mais aussi laïcs et fonctionnaires), les écoles se multiplièrent. La structure démographique se modifia, surtout à Genève, mais aussi à Zurich et Bâle, en raison de l'afflux de réfugiés protestants. L'influence de la Réforme sur les relations entre hommes et femmes ainsi qu'entre parents et enfants est difficile à estimer; pour certains historiens, l'abolition du célibat des prêtres et la valorisation du mariage sont des signes avant-coureurs de la modernité, alors que d'autres, plus récemment, ont préféré souligner les continuités et un renforcement du rôle du père de famille. Ainsi, le divorce était admis chez les protestants, mais peu courant en pratique.

Les nombreuses traductions de la Bible dans les langues vernaculaires constituent le grand apport de la Réforme. La théologie protestante est centrée sur la Parole. C'est pourquoi le protestantisme a souvent été décrit comme une religion déritualisée, rationnelle ou intériorisée, rejetant des usages populaires et des pratiques magiques attribués au catholicisme. Mais des études plus récentes d'histoire culturelle en présentent une autre image, pour les XVIe et XVIIe s.: les nouvelles Eglises n'ont pas simplement aboli les rituels, elles les ont réinterprétés ou réinventés. Elles ont aussi continué d'obéir à des craintes irrationnelles, comme en témoignent les procès pour sorcellerie, particulièrement nombreux par exemple au XVIe s. dans le Pays de Vaud réformé.

Les frontières confessionnelles restèrent flexibles jusqu'au milieu du XVIe s., voire plus longtemps dans certaines régions. Dans plusieurs paroisses du canton de Glaris, des Grisons et de Thurgovie, catholiques et protestants utilisaient la même église (Parité confessionnelle). Des formes de piété traditionnelles subsistèrent, même en ville. Dès la seconde moitié du XVIe s., la formulation des différences entre confessions se précisa, des tensions de diverse nature commencèrent à s'exprimer sous forme de conflits religieux, qui aboutirent par exemple à la division du canton d'Appenzell (1597) ou à l'établissement d'institutions distinctes pour la minorité catholique glaronaise (affaire de Glaris, 1559-1560).

Ces évolutions sont révélatrices du confessionnalisme de l'époque. Du côté des tenants de l'ancienne foi, la Suisse fut gagnée par la Réforme catholique et la Contre-Réforme; des jésuites et des capucins s'établirent en Suisse centrale, puis dans d'autres cantons (Missions intérieures, Conversions). En 1586, les cantons catholiques conclurent un pacte à caractère confessionnel, la Ligue d'Or, et peu après s'allièrent avec l'Espagne.

Le camp protestant se renforça lui aussi, en particulier grâce au rapprochement entre zwingliens et calvinistes, dont le Consensus tigurinus de 1549 (conception commune de la Cène) fut une étape importante. La Confession helvétique de Bullinger (1566) est l'une des principales professions de foi réformées (Confessions helvétiques).

Les correspondants de Heinrich Bullinger 1524-1575
Les correspondants de Heinrich Bullinger 1524-1575 […]
Echanges épistolaires de Calvin (quelques années entre 1542 et 1563)
Echanges épistolaires de Calvin (quelques années entre 1542 et 1563) […]

Il convient enfin de relever le rayonnement des réformateurs suisses. Les écrits de Zwingli, Calvin, Bullinger et Théodore de Bèze étaient répandus dans toute l'Europe. Calvin et Bullinger avaient de vastes réseaux de correspondants. Au XVIe s., on venait de partout se former à Genève, Zurich et Bâle. Si le caractère international du calvinisme est reconnu depuis longtemps, celui du zwinglianisme élaboré par Bullinger est ressorti d'études plus récentes.

La Réforme compte parmi les événements majeurs de l'histoire suisse. Elle mit à l'épreuve la cohésion de la Confédération. Elle divisa les cantons en deux camps et conduisit, comme dans de nombreuses autres régions d'Europe occidentale et centrale, à des troubles et à des guerres (première et seconde guerres de Villmergen, par exemple). Jusqu'au XIXe s., les questions confessionnelles furent au cœur de conflits sociaux et politiques (Sonderbund, Kulturkampf). Le fait que la coopération politique soit restée possible malgré les frontières religieuses est un élément décisif pour l'histoire et l'identité suisses (Tolérance religieuse).

Historiographie

Jusqu'au milieu du XXe s., les questions théologiques et politiques dominèrent l'historiographie de la Réforme en Suisse. On dispose de la plupart des lettres et des écrits de Zwingli, Calvin et Œcolampade, édités au XIXe s. et au début du XXe s., ce qui a fortement orienté les recherches. En outre, des recueils de documents ont été publiés dans certains cantons. Récemment, les deux instituts suisses consacrés à l'histoire de la Réforme, ceux de Zurich et de Genève, ont lancé des projets d'édition des écrits de Bullinger et de Bèze, les successeurs de Zwingli et Calvin. Les Registres de la Compagnie des pasteurs de Genève et les Registres du Consistoire de Genève au temps de Calvin sont des sources importantes, publiées dès 1994. Genève abrite depuis 2005 le Musée international de la Réforme.

Ce fut seulement après la Deuxième Guerre mondiale que l'on se pencha sur les facteurs ayant concouru au succès de la Réforme. On montra ainsi que les soutiens du mouvement les plus actifs, en Europe centrale, appartenaient socialement à la bourgeoisie et à la paysannerie; les élites politiques, en Suisse aussi, n'agirent souvent que sous la pression des campagnards ou des corporations. On étudia aussi les canaux de diffusion du message évangélique, les raisons de son efficacité, sa réception, ainsi que les moyens d'organisation d'une Eglise nouvelle (consistoires, écoles).

Plus récemment, l'histoire culturelle a remis en question l'idée selon laquelle la Réforme aurait rationalisé Dieu et désenchanté le monde. Les anabaptistes ont fait l'objet d'une série d'études fondamentales. Enfin, la question de savoir comment le système d'alliances de la Confédération a pu survivre à la Réforme continue d'interpeller, depuis le XVIe s., théologiens et historiens.

Sources et bibliographie

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  • E. Dürr, P. Roth, éd., Aktensammlung zur Geschichte der Basler Reformation in den Jahren 1519 bis Anfang 1534, 6 vol., 1921-1950
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  • W. Jacob, Politische Führungsschicht und Reformation, 1970
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  • G.W. Locher, Zwingli und die schweizerische Reformation, 1982
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  • B. Gordon, The Swiss Reformation, 2002
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  • M. Engamarre, «Des pasteurs sans pasteur: historiographie de la Réforme en Suisse romande (1956-2008)», in Archiv für Reformationsgeschichte, 100, 2009, 88-115
  • A. Holenstein, «Reformation und Konfessionalisierung in der Geschichtsforschung der Deutschschweiz», in Archiv für Reformationsgeschichte, 100, 2009, 65-87
  • Th. Kaufmann, Geschichte der Reformation, 2009
Liens

Suggestion de citation

Caroline Schnyder: "Réforme", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 29.01.2013, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/013328/2013-01-29/, consulté le 19.03.2024.