Missions

Carte du monde de la Mission de Bâle avec la répartition géographique des religions et des régions peuplées par les «païens», entourée de six illustrations représentant les missions territoriales de Chine, d'Inde, du Cameroun et de la Côte-de-l’Or (Ghana), vers 1900. Papier sur tissu, 42 x 55 cm (Archiv Basler Mission, Bâle, BMA 97856).
Carte du monde de la Mission de Bâle avec la répartition géographique des religions et des régions peuplées par les «païens», entourée de six illustrations représentant les missions territoriales de Chine, d'Inde, du Cameroun et de la Côte-de-l’Or (Ghana), vers 1900. Papier sur tissu, 42 x 55 cm (Archiv Basler Mission, Bâle, BMA 97856). […]

Les missions sont des organisations religieuses dont l'objectif est la diffusion d'une foi, généralement monothéiste. Le terme est utilisé à partir du XVIe siècle pour désigner la propagation ciblée du christianisme auprès des croyants d'autres religions. Les missions chrétiennes se réclament de la Grande Mission donnée aux apôtres par le Christ dans l'Evangile de Matthieu. Afin de diffuser leur religion dans les régions non chrétiennes du monde, elles s'associèrent, à partir du XVIe siècle, à l'expansion des puissances coloniales européennes. Parmi les premières institutions s'appuyant sur un réseau global, elles mirent en contact les sociétés européennes et non européennes qu’elles transformèrent durablement.

Histoire de la mission

Commerce et mission. Détail d’un poêle à tour de l’atelier Pfau de Winterthour, avec des catelles peintes probablement par David Sulzer, vers 1700 (Propriété privée; photographie Andreas Heege, Zoug, 2021).
Commerce et mission. Détail d’un poêle à tour de l’atelier Pfau de Winterthour, avec des catelles peintes probablement par David Sulzer, vers 1700 (Propriété privée; photographie Andreas Heege, Zoug, 2021). […]

On peut distinguer cinq phases dans l'histoire de la mission. La première, du IIe au XVe siècle, correspond à la christianisation de vastes régions d'Europe. Puis, du XVIe au XVIIIe siècle, les puissances coloniales européennes furent confrontées de plus en plus fréquemment à des populations non chrétiennes lors de leurs expéditions outre-mer. Durant cette période, l'Eglise catholique accorda son appui aux ambitions coloniales de l'Espagne et du Portugal, leur attribuant le monopole des missions. Avec la fondation de la Congrégation pour la propagation de la foi (Propaganda Fide) en 1622, la mission catholique fut organisée à partir de Rome. La mission protestante, quant à elle, prit une dimension globale à partir de la fin du XVIIIe siècle avec l'accession de l'Angleterre et des Pays-Bas au rang de puissances coloniales. Au cours de la troisième phase, du XIXe au début du XXe siècle, le renouveau religieux et le mouvement antiesclavagiste stimulèrent l'action philanthropique et les missions, qui connurent leur âge d'or en relation avec l’impérialisme colonial. Contrairement aux missions précédentes, qui pouvaient compter sur le soutien de la noblesse et étaient placées sous le patronage royal, celles du XIXe siècle s'appuyaient sur des sociétés missionnaires et étaient financées en grande partie par des petits dons provenant de toutes les couches sociales.

La quatrième phase, déclenchée par la catastrophe de la Première Guerre mondiale, montra clairement l’étroitesse des liens entre les missions et les puissances coloniales dans les pays extra-européens. Les conséquences furent lourdes, notamment lorsque des missionnaires originaires de pays ennemis furent expulsés des colonies ou internés. Il en résulta un renforcement de la centralisation, de la professionnalisation et de l'uniformisation des activités missionnaires. La lettre apostolique Maximum illud du pape Benoît XV (1919) eut comme objectifs l'enracinement culturel de l’Eglise catholique dans les pays de mission et la formation d'un clergé autochtone. Elle condamna en outre les intérêts économiques ainsi que nationaux et imposa une stricte neutralité dans les questions politiques. 

Boîte à don pour le travail missionnaire, première moitié du XXe siècle (Archiv Basler Mission, Bâle; photographie Markus Gruber, Bâle).
Boîte à don pour le travail missionnaire, première moitié du XXe siècle (Archiv Basler Mission, Bâle; photographie Markus Gruber, Bâle). […]

La cinquième phase fut marquée par le mouvement global de décolonisation, amorcé dans les années 1950-1960, et les changements au sein de l'Eglise catholique, symbolisés par le concile Vatican II (1962-1965). Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les critiques à l'encontre des missions et de leur implication dans le colonialisme se multiplièrent. Contraintes, pour faire face à cette nouvelle situation, de remanier leurs structures organisationnelles (jusqu'alors hiérarchiques et paternalistes) et leurs méthodes reposant sur la contrainte et la violence, les missions se transformèrent en organisations non gouvernementales au service de la coopération au développement. L’emploi de laïcs se généralisa et l’administration des territoires de mission par des institutions ou des ordres religieux basés en Europe fut remplacée par la collaboration avec les Eglises locales. Le dialogue interreligieux et interculturel, l’œcuménisme, le concept du partenariat et le travail sous forme de projets devinrent les points forts du nouveau credo missionnaire. 

La coopération entre les différentes organisations actives dans la mission s’intensifia en Suisse aussi. Le Conseil suisse des missions évangéliques (CSME) fut ainsi créé en 1944, le Conseil missionnaire catholique suisse (CMCS) et le Département missionnaire des Eglises protestantes de la Suisse romande (plus tard DM-échange et mission) en 1963, la Kooperation Evangelischer Kirchen und Missionen (KEM) en 1964. Dès 1971, le CMCS et la KEM publièrent un bulletin annuel commun. En 2001, la Mission de Bâle, la Mission suisse en Afrique du Sud, la Mission morave et la Mission évangélique de la région du Kwango se réunirent en une association faîtière baptisée Mission 21. Au début des années 1960, on fonda du côté catholique l'Action de Carême et chez les protestants Pain pour le prochain (allemand Brot für Brüder, puis Brot für alle dès 1990; fusion en 2022 avec l'Entraide protestante suisse, EPER). Ces deux œuvres caritatives comptèrent en 1992 parmi les initiatrices de la Fondation Max Havelaar (Suisse), dont le but est de promouvoir un commerce équitable des produits du Sud (Tiers-Monde).

Sacs en jute de la Déclaration de Berne avec les inscriptions «Jute statt Plastic» («Du jute plutôt que du plastique»), «Solidarité – Jute – Ecologie» et «Perché Juta?» («Pourquoi le jute?»), 1976, et sachet de collecte d'Action de Carême avec le slogan «wir teilen – partageons – condividiamo – nus partain», vers 2000 (Archives sociales suisses, Zurich, F Oc-0002-085 et F 5028-Fx-004).
Sacs en jute de la Déclaration de Berne avec les inscriptions «Jute statt Plastic» («Du jute plutôt que du plastique»), «Solidarité – Jute – Ecologie» et «Perché Juta?» («Pourquoi le jute?»), 1976, et sachet de collecte d'Action de Carême avec le slogan «wir teilen – partageons – condividiamo – nus partain», vers 2000 (Archives sociales suisses, Zurich, F Oc-0002-085 et F 5028-Fx-004). […]

Mission et colonialisme

Les liens entre les missions et le colonialisme furent divers. Dépendant de l'infrastructure, de l'armée, de l'administration et du droit des puissances coloniales, les missions confortaient la domination de ces dernières par leur vocation qualifiée de «civilisatrice» (notamment dans les domaines culturel, social et économique). A l’origine de changements sociaux opposés aux intentions des colonisateurs, elles étaient toutefois aussi en conflit avec les empires coloniaux. 

Le gouverneur britannique Frederick Gordon Guggisberg saluant en 1926 les élèves d'une école construite par la Mission de Bâle à Kumasi en Côte-de-l'Or (Ghana). Carte postale d’après une photographie du missionnaire Friedrich Adolf Jost (Archiv Basler Mission, Bâle, BMA D-30.67.002).
Le gouverneur britannique Frederick Gordon Guggisberg saluant en 1926 les élèves d'une école construite par la Mission de Bâle à Kumasi en Côte-de-l'Or (Ghana). Carte postale d’après une photographie du missionnaire Friedrich Adolf Jost (Archiv Basler Mission, Bâle, BMA D-30.67.002). […]

Compte tenu du rôle qu’ils jouaient dans le système colonial, les missions entretenaient aussi des rapports très ambivalents et fragiles avec les populations colonisées. Cultivant une image paternaliste et dotés d’un sentiment de supériorité, les missionnaires diffusaient des représentations culturelles racistes (racisme). Dans le même temps, ils dépendaient fortement de la tolérance et de la coopération entre les autorités coloniales et les populations autochtones, dont l’intérêt pour l'éducation, l'agriculture et la médecine donna lieu à l'établissement de postes de mission. Grâce à la collaboration avec les missionnaires, les peuples colonisés accédèrent à des connaissances, technologies et marchandises. Ces dernières leur permirent de développer des stratégies pour acquérir une plus grande autonomie face aux colonisateurs et formuler des revendications, y compris d’ordre politique.

En raison de leur prosélytisme et contrairement à la plupart des fonctionnaires coloniaux, des commerçants et des scientifiques, les missionnaires vécurent généralement longtemps dans les colonies et se familiarisèrent ainsi avec leur environnement et les populations locales. Experts reconnus en sciences naturelles, spécialistes des langues, cultures et société extra-européennes, ils développèrent de nouvelles connaissances et furent à l’origine de disciplines académiques, telle que l'ethnologie. Par leur participation aux discussions scientifiques et au discours colonial populaire, les missionnaires façonnèrent non seulement la vision du monde et de l'humanité de la bourgeoisie qui les soutenait, mais aussi d’autres milieux sociaux.

Frontispices et pages de titre en kannada et en anglais des impressions botaniques réalisées par le missionnaire Jakob Hunziker en 1862, 32 x 41,5 cm (Archiv Basler Mission, Bâle, BMA C.325.I.003-006).
Frontispices et pages de titre en kannada et en anglais des impressions botaniques réalisées par le missionnaire Jakob Hunziker en 1862, 32 x 41,5 cm (Archiv Basler Mission, Bâle, BMA C.325.I.003-006). […]

Les missions extra-européennes étaient liées en Europe à une multitude d'œuvres caritatives chrétiennes qui s'attaquaient au problème supposé de la déchristianisation (missions intérieures ou populaires): œuvres d'assistance aux pauvres et aux malades, cercles bibliques, écoles du dimanche, associations de jeunes hommes, ateliers de couture et missions urbaines. Ces institutions reposaient sur l'engagement bénévole de nombreuses personnes, dont un nombre particulièrement élevé de femmes et d'enfants. Ces réseaux contribuèrent à créer des liens entre les acteurs extra-européens et européens ainsi que les idées qu’ils véhiculaient, ce qui renouvela le débat sur les ordres sociaux.

En Suisse, les missions pouvaient s'appuyer aux XIXe et XXe siècles sur un tissu associatif dynamique et une activité éditoriale variée. Leurs campagnes de financement et de publicité, menées à une large échelle, firent entrer la culture coloniale dans le quotidien, sous forme de magazines, de boîtes à don (personnage qui, une fois l'argent introduit, remerciait en hochant la tête), de calendriers, de traditions carnavalesques, d'albums à collectionner et de parrainages. Les missionnaires présentèrent dans leurs musées et expositions des récits, cartes, photographies et objets qui permirent à un large public de se familiariser avec l’univers des colonies. Relatant leurs expériences à de nombreuses occasions (cultes et messes, bazars, écoles du dimanche, fêtes et films), ils influencèrent considérablement le regard que la population suisse portait sur le monde colonial et sur elle-même.

Les missions catholiques

A l'époque moderne, 40 à 45 jésuites suisses œuvrèrent comme missionnaires en dehors de l'Europe. L'un des premiers fut Pietro Berno, qui débarqua à Goa, en Inde, en 1579. La première mission territoriale suisse fut celle des capucins en Russie (1719-1759). Au XIXe siècle, ceux-ci devinrent l'ordre missionnaire le plus influent de Suisse, avec leurs propres territoires de mission en Inde (dès 1843), en Tanzanie (dès 1921) et aux Seychelles (dès 1922).

Portraits d’élèves et d'enseignants devant des internats dans le Dakota du Sud, vers 1899. A gauche: la Farm School Band de la St. Benedict Mission School à Kenel, dans la réserve de Standing Rock (Archives privées de Manuel Menrath, numérisation d’une photographie conservée aux Saint Meinrad Archabbey Archives, St. Meinrad, Indiana); à droite: l’Immaculate Conception Indian School à Stephan, dans la réserve de Crow Creek (Archives privées de Manuel Menrath, numérisation d’une photographie conservée aux Sacred Heart Convent Archives, Yankton, Dakota du Sud).
Portraits d’élèves et d'enseignants devant des internats dans le Dakota du Sud, vers 1899. A gauche: la Farm School Band de la St. Benedict Mission School à Kenel, dans la réserve de Standing Rock (Archives privées de Manuel Menrath, numérisation d’une photographie conservée aux Saint Meinrad Archabbey Archives, St. Meinrad, Indiana); à droite: l’Immaculate Conception Indian School à Stephan, dans la réserve de Crow Creek (Archives privées de Manuel Menrath, numérisation d’une photographie conservée aux Sacred Heart Convent Archives, Yankton, Dakota du Sud). […]

Des bénédictins suisses de l'abbaye d'Einsiedeln fondèrent en 1854 aux Etats-Unis, dans l'Etat de l'Indiana, le couvent de Saint-Meinrad, qui joua un rôle dans la mission auprès des populations autochtones. En 1869, le président américain Ulysses S. Grant inaugura la «politique de paix» et chargea les missionnaires de «civiliser» les personnes qui vivaient dans les réserves. Le bénédictin schwytzois Martin Marty dirigea la mission dans la réserve des Sioux de Standing Rock, à la frontière entre le Dakota du Sud et le Dakota du Nord. Avec des bénédictines de Suisse centrale ainsi que des franciscaines et des jésuites allemands, il créa des internats catholiques dans lesquels les enfants sioux furent assimilés de force. Malgré de sévères punitions, des châtiments corporels et un contrôle exercé par les missionnaires jusqu'à l'âge adulte, les Sioux parvinrent à conserver une grande partie de leur indépendance culturelle et spirituelle. En 1948, les moines d'Einsiedeln s'installèrent également en Argentine. Les bénédictins d'Engelberg suivirent ceux d'Einsiedeln aux Etats-Unis (1873) et reprirent en 1932 une mission au Cameroun français. Les chanoines augustins du Grand-Saint-Bernard furent actifs en Chine dès 1933; ceux de Saint-Maurice en Inde et au Pérou dès 1934. La congrégation missionnaire bénédictine de Sankt Ottilien en Bavière, fondée par le Lucernois Andreas Amrhein, administra le territoire de Dar es-Salaam (Tanzanie), pendant la domination coloniale allemande. Après la Première Guerre mondiale, ce dernier fut repris par les capucins suisses. Lorsque les Britanniques eurent reconnu en 1922 à la mission de Sankt Ottilien le statut de société indépendante avec siège en Suisse (à Uznach), les bénédictins helvétiques purent, sous la supervision de l'évêque Gallus Steiger, diriger la préfecture apostolique de Lindi en Afrique orientale britannique (Tanzanie).

Le bénédictin d'Engelberg Fridolin Geiger avec un apprenti (nom inconnu) dans la cordonnerie-sellerie de la mission d'Otélé au Cameroun. Photographie, 1961 (Stiftsarchiv Engelberg).
Le bénédictin d'Engelberg Fridolin Geiger avec un apprenti (nom inconnu) dans la cordonnerie-sellerie de la mission d'Otélé au Cameroun. Photographie, 1961 (Stiftsarchiv Engelberg). […]

La Mission Bethléem Immensee, la principale mission catholique suisse au XXe siècle, vit le jour en 1921. Elle s'établit en Chine en 1924, en Rhodésie du Sud (Zimbabwe) en 1939, puis au Japon, aux Etats-Unis, à Taïwan et en Colombie. Un diocèse sous direction suisse fut créé en Rhodésie du Sud en 1950; plus d'une centaine de prêtres y travaillèrent côte à côte avec de nombreux frères, sœurs, laïcs et médecins missionnaires suisses. Les organes de presse en langues africaines édités par la Mission Behtléem Immensee, en particulier le journal Moto, devinrent d’importants porte-paroles des revendications politiques des populations autochtones. 

On peut évaluer à un millier le nombre de religieux suisses partis en mission aux XIXe et XXe siècles. Beaucoup d'entre eux rejoignirent des congrégations et ordres étrangers: rédemptoristes, salettins, salvatoriens, spiritains, missionnaires de Steyl et de Mariannhill, Pères Blancs (Missionnaires d'Afrique). Actifs au Ruanda, ces derniers mirent en place avec le soutien de l'administration coloniale allemande, puis belge (dès 1916), le système éducatif de la colonie et firent du catholicisme la religion d'Etat. Le missionnaire valaisan André Perraudin, archevêque du Ruanda dès 1959, mit fin, en accord avec la politique coloniale belge, au traitement privilégié dont jouissait la monarchie tutsie. Sous sa conduite, l’Eglise et les établissements d'enseignement catholiques s'allièrent au mouvement nationaliste hutu naissant, ce qui contribua largement à la polarisation entre les Hutus et les Tutsis. 

Du côté des femmes, la mission compta aussi un millier de religieuses durant cette période. En 1874, cinq sœurs bénédictines de Maria Rickenbach s'établirent aux Etats-Unis, où elles s'engagèrent dans la mission auprès de la population autochtone, suivies en 1882 par deux sœurs de Sarnen. En 1883, les sœurs de Menzingen reprirent un mandat missionnaire en Afrique du Sud, suivi d'autres engagements en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. En 1888, six capucines du couvent Maria Hilf d'Altstätten partirent pour l'Equateur et la Colombie, tandis que des bénédictines de Melchtal se rendirent aux Etats-Unis. A partir de 1894, on vit les sœurs d'Ingenbohl s'engager en Inde, aux Etats-Unis, en Lituanie et en Mandchourie. Les dominicaines d'Ilanz furent présentes en Chine dès 1920, puis également au Brésil et aux Philippines. Des sœurs de Baldegg accompagnèrent en 1921 les pères capucins en Afrique orientale britannique; par la suite, on les trouva également en Papouasie-Nouvelle-Guinée et en Ethiopie. Les sœurs de Sainte-Anne de Lucerne lancèrent leur activité missionnaire en 1927, se concentrant surtout sur l'Inde. Celles de Heiligkreuz partirent dès 1931, principalement en Mandchourie; les ursulines de Brigue étaient en Afrique du Sud dès 1934, en Inde dès 1953; les bénédictines de Sarnen s'engagèrent également au Cameroun français à partir de 1938. La congrégation missionnaire de bénédictines de Tutzing, l'ordre des Sœurs Blanches (ou de Notre-Dame d'Afrique) et les sœurs de Saint-Joseph de Cluny furent les principales congrégations étrangères au sein desquelles œuvrèrent des religieuses suisses. Certaines d'entre elles furent aussi actives dans l'Association catholique suisse pour l'assistance médicale missionnaire (fondée en 1926, puis Solidarmed) et dans la section suisse de la Communauté de travail pour l'action missionnaire (créée en 1932).

Les nombreux appels à la mission et les impulsions données par les papes Benoît XV et Pie XI, le grand nombre de fondations de sociétés missionnaires, ainsi que le développement de nouveaux moyens de communication et de transport contribuèrent au succès de la «mission universelle» catholique durant l'entre-deux-guerres. N’ayant pas été touchée par la guerre, la Suisse joua un rôle prépondérant dans ce contexte puisqu’elle était considérée comme étrangère au colonialisme et politiquement neutre. Le Vatican reconnut ce potentiel et chercha à faire de la Confédération la pierre angulaire d'un mouvement missionnaire catholique international plus centralisé. Fribourg devint alors le nouveau centre intellectuel du catholicisme suisse et un pôle de recherche sur la mission au rayonnement international. Qualifiée de «seconde Rome», la cité abrita au milieu du XXe siècle 25 sociétés missionnaires. En 1921, elle accueillit le premier congrès universitaire catholique au monde consacré à la mission, qui fut à l’origine de la fondation de l'Association universitaire en faveur des missions et stimula l'œuvre missionnaire en Suisse. Les missions suisses jouèrent un rôle de premier plan durant la Deuxième Guerre mondiale: pendant les quatre premières années du conflit, le pays fournit un tiers des missionnaires catholiques qui quittèrent l’Europe pour l’Afrique.

Les missions protestantes

Le mouvement missionnaire protestant est issu à la fin du XVIIIe siècle du piétisme et du Réveil. Les Eglises évangéliques réformées suisses ne s'étaient jusqu'alors guère intéressées à élargir leurs activités au monde extra-européen. Seule exception, les frères moraves, dont les premiers missionnaires suisses partirent vers 1750 déjà pour les Antilles, la colonie néerlandaise de Berbice (Guyana) et le Suriname.

«Prêche de rue devant un chef» du missionnaire Fritz Ramseyer. Photographie prise entre 1888 et 1895 (Archiv Basler Mission, Bâle, BMA D-30-15.004).
«Prêche de rue devant un chef» du missionnaire Fritz Ramseyer. Photographie prise entre 1888 et 1895 (Archiv Basler Mission, Bâle, BMA D-30-15.004). […]

En 1815 fut créé la Mission de Bâle, née de la collaboration entre la Deutsche Christentumsgesellschaft, d'orientation piétiste, et des familles aisées et influentes du patriciat bâlois. Les premiers hommes qui terminèrent leur formation à Bâle travaillèrent ensuite pour des sociétés missionnaires britanniques et hollandaises, notamment pour la Church Missionary Society. La Mission de Bâle établit rapidement son réseau: elle s'installa sur la Côte-de-l'Or (Ghana, 1828), dans le Sud-Ouest indien (1834), dans la Chine méridionale (1847), au Cameroun (1885), au Sabah (Malaisie, 1900) et en Indonésie (années 1920). Elle fut la seule mission suisse à diriger sa propre société commerciale (Basler Handelsgesellschaft, 1859-1917) et la première société missionnaire protestante de l'aire germanophone à gérer, dès 1885, une mission médicale permanente avec des médecins ayant suivi une formation universitaire.

La communauté de Chrischona, fondée aussi à Bâle en 1840, envoya des missionnaires en Palestine (1846) et en Ethiopie (1856). Héli Chatelain créa en 1897 en Afrique occidentale portugaise (Angola) la Mission philafricaine, dont le but était de lutter contre l'esclavage intra-africain. De nombreuses missions protestantes étaient liées au mouvement abolitionniste et considéraient leurs efforts d'évangélisation en Afrique comme une réparation des torts causés par la traite transatlantique. Malgré cette position claire de la part des responsables des missions en Europe, la question de l'esclavage dans les colonies africaines donna lieu à d'âpres débats jusqu'au début du XXe siècle. Une partie des missionnaires craignait en effet que l'interdiction totale de l'esclavage puisse entraîner un déclin des communautés chrétiennes et des troubles sociaux.

A partir des années 1820, des sociétés missionnaires d'inspiration piétiste se constituèrent dans les cantons de Vaud, Genève et Neuchâtel; au début, elles eurent des difficultés à se développer au sein des Eglises nationales. Elles entretenaient des liens étroits avec la Société des missions évangéliques de Paris (SMEP), fondée en 1822. Les premiers Romands engagés par la SMEP partirent pour l'Afrique dans les années 1820. Au cours de la décennie suivante, l'Institut missionnaire de Lausanne envoya une poignée de ses élèves chez les Sioux en Amérique du Nord (formation interrompue en 1839). Après un premier engagement missionnaire en Afrique australe dès 1871, le synode de l'Eglise libre vaudoise, réuni à Yverdon, procéda en 1874 à la fondation de la Mission vaudoise. Celle-ci étendit ses activités du Lesotho à l'Afrique orientale portugaise (Mozambique) et reçut le soutien des Eglises libres genevoise et neuchâteloise.

Rebaptisée Mission romande dès 1883, puis Mission suisse dans l'Afrique du Sud (MSAS), l'institution dirigée par les trois Eglises libres s'installa vers la fin du XIXe siècle dans les régions du nord du pays, où elle construisit non seulement des édifices de culte, mais aussi des écoles et des hôpitaux. Elle bâtit petit à petit une Eglise locale qui acquit son indépendance en 1962 sous le nom de Tsonga Presbyterian Church. En 1963, la MSAS intégra le Département missionnaire des Eglises protestantes de la Suisse romande, vaste institution nouvellement fondée. Malgré la pression mondiale croissante contre le régime de l'apartheid, la MSAS adopta pendant de longues années une attitude ambivalente vis-à-vis de celui-ci. Même lorsque le mouvement anti-apartheid suscita l'intérêt des Eglises suisses, elle se montra divisée et resta officiellement muette.

Les sociétés missionnaires protestantes dépendaient fortement de l’engagement moral, financier et organisationnel de nombreuses femmes d'origines sociales diverses. Contrairement aux sœurs catholiques, leur action se limita jusque tard dans le XIXe siècle aux régions d'origine des missions. Elles œuvrèrent en faveur des institutions d'éducation et de santé de la mission intérieure et organisèrent les collectes de dons pour la mission extérieure. Le mariage chrétien et la famille étant au cœur du projet d'évangélisation, les premières femmes protestantes présentes dans les missions extra-européennes furent généralement des épouses de missionnaires. Elles assumèrent des tâches importantes dans les colonies qui leur ouvrirent de nouvelles perspectives au sein de l'ordre social patriarcal et qu'elles purent partiellement exploiter pour leurs propres projets d'émancipation.

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Liens

Suggestion de citation

Marita Haller-Dirr; Linda Ratschiller ; Linda Ratschiller: "Missions", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 26.03.2024, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/011456/2024-03-26/, consulté le 29.03.2024.