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Peinture

La peinture est l'un des modes d'expression de l'humanité les plus anciens. Elle évolue constamment et chacune de ses composantes (éléments esthétiques ou stylistiques, formes, sujets, techniques, matériaux) a pris des aspects très divers. Elle est aussi parfois au service d'autres arts: les sculpteurs l'utilisent pour souligner les contours (Sculpture) et les architectes (Architecture) pour accentuer des éléments (peinture de façades, sgrafitto, par exemple).

Antiquité et haut Moyen Age

Aurige conduisant un bige. Médaillon, fragment de fresque romaine dans une maison d'Augusta Raurica, vers 100 apr. J.-C. (Augusta Raurica; photographie Susanne Schenker).
Aurige conduisant un bige. Médaillon, fragment de fresque romaine dans une maison d'Augusta Raurica, vers 100 apr. J.-C. (Augusta Raurica; photographie Susanne Schenker).

Les peintures figuratives les plus anciennes réalisées sur le territoire de la Suisse datent de l'époque romaine. Les fresques d'Augst et de Pully, par exemple, représentant un aurige, furent exécutées au Ier s. apr. J.-C. Elles ornaient des bâtiments profanes et portent la marque de la production artistique du bassin méditerranéen. La peinture figurative disparut avec le déclin de l'Empire romain.

Elle ne réapparut qu'avec la christianisation et resta d'abord cantonnée aux lieux consacrés et aux monastères (Préroman). Du point de vue technique et iconographique (figures, symboles et scènes représentées), les œuvres qui subsistent rappellent le style romano-byzantin, comme en témoignent les fresques endommagées de l'hypogée aménagé en chambre funéraire épiscopale sous l'église Saint-Etienne à Coire (VIe-VIIe s.)

À l'époque carolingienne apparurent non seulement les premières enluminures, inspirées de modèles de l'Antiquité tardive et celte, mais aussi les peintures murales dans les églises. Contrairement aux enluminures, dont la contemplation était réservée à un cercle d'initiés, la peinture murale illustrative s'adressait à un public plus vaste. Rares sont les témoignages conservés. La plupart se trouvent sur des sites bordant la transversale nord-sud et témoignent d'influences internationales. Dans les agglomérations, les peintures murales carolingiennes n'ont guère survécu aux transformations ultérieures.

Découverts à l'abbaye de Disentis, les restes d'une peinture monumentale stuquée comprenant plus de 150 figures de saints plus grandes que nature (fin du VIIIe s., d'école byzantine) témoignent déjà d'une grande qualité artistique. Vers 800, des peintres d'Italie du Nord réalisèrent le premier grand cycle imagé de Suisse au couvent de Saint-Jean à Müstair. Le répertoire (Jugement dernier, Ascension du Christ, vies de saints) ainsi que la distribution spatiale des scènes dans les absides ou sur les murs divisés en registres relèvent d'un canon conçu pour l'éducation des fidèles (Bible des pauvres), auquel la peinture religieuse resta soumise jusqu'à l'époque des Lumières. Les fresques de l'église Saint-Georges à Reichenau-Oberzell au bord du lac de Constance (vers 1000), œuvre majeure de la peinture ottonienne, se distinguent elles aussi par leur structure narrative rigoureuse et leur articulation architectonique. Leur créateur a situé les scènes de l'histoire sacrée dans un décor antiquisant. Les abbés représentés dans les voûtains des arcades sont un exemple précoce de peinture de portraits officielle dans nos régions.

Ailleurs en Suisse, aucune peinture ottonienne n'a survécu (hormis des enluminures). A Einsiedeln, à Saint-Gall, à Fribourg, en Valais, cette perte est le plus souvent due à la transformation ou à la reconstruction des édifices sacrés aux XVIIe et XVIIIe s. Dans d'autres régions (Genève, Lausanne, Berne, Zurich) une grande partie de la peinture religieuse médiévale a été détruite au moment de la Réforme.

Fresques de l'église Saint-Ambroise (aujourd'hui Saint-Charles) à Prugiasco-Negrentino, vers 1100 (Photographie A. & G. Zimmermann, Genève).
Fresques de l'église Saint-Ambroise (aujourd'hui Saint-Charles) à Prugiasco-Negrentino, vers 1100 (Photographie A. & G. Zimmermann, Genève). […]

D'importantes fresques romanes ont été mises au jour à l'ancienne église Saint-Ambroise de Prugiasco, réalisées par un atelier lombard entre les premières décennies du XIe  et le début du XIIe s. Le plafond de l'église Saint-Martin à Zillis, de la première moitié du XIIe s., marque l'apogée de la peinture romane en Suisse. Les 153 panneaux peints sont la manifestation d'un style roman qui reprend consciemment le langage formel de l'Antiquité tardive. La complexité du programme iconographique de ce plafond a donné lieu à toutes sortes d'interprétations, ce qui prouve la force évocatrice d'images, dont la lecture variait en fonction de la culture du spectateur.

Moyen Age classique et bas Moyen Age

Pendant le haut Moyen Age, la peinture était restée cantonnée, à notre connaissance, dans un contexte monastique; au Moyen Age classique et surtout au bas Moyen Age, les images gagnèrent d'autres espaces, tant religieux que profanes. La peinture devint un bien commun auquel les commanditaires laïques et ecclésiastiques eurent recours pour leur prestige ou à des fins didactiques. Le peintre verrier picard Pierre d'Arras, à Lausanne, ou l'enlumineur Luitherus, à l'abbaye de Saint-Gall, figurent parmi les premiers peintres identifiables et localisables. La peinture devint alors un véritable artisanat occupant de plus en plus de personnes.

La vague du gothique international, qui débuta à l'orée du XIIIe s., exerça une influence durable sur la peinture en Suisse. Les peintures murales qui vinrent recouvrir à la fin du XIIe s. une partie des fresques carolingiennes de Müstair sont l'expression de ce renouveau. Le baptistère de Riva San Vitale connut un destin analogue, puisque des peintures murales carolingiennes y furent remplacées à la même période par des fresques d'inspiration gothique byzantine.

En Suisse romande, le premier gothique français influença, sans doute par le truchement de l'abbaye mère de Cluny, les peintures murales de l'abbatiale de Payerne, où il se mêla à des réminiscences byzantines (début du XIIIe s.). Il inspira aussi la rosace de la cathédrale de Lausanne (vers 1230), œuvre de Pierre d'Arras.

La peinture se diversifia sensiblement au XIVe s.; un nombre croissant de commanditaires issus de la bourgeoisie vinrent s'ajouter au clergé. De cette période datent les premières commandes profanes conservées, tel le Codex Manesse, considéré comme le fleuron de la peinture courtoise médiévale. La nouvelle technique du vitrail conquit petit à petit la Suisse et atteignit son apogée dans les verrières du chœur de l'église conventuelle de Königsfelden (vers 1325-1350). Le cycle ornant l'église Saint-Arbogast à Oberwinterthur (début du XIVe s.) combine l'histoire chrétienne du salut avec le langage formel de la peinture courtoise profane. Le cavalier tuant un dragon, à l'église Saint-Georges de Rhäzüns (vers 1350), est également inspiré de l'imagerie des tournois, typiques des cours princières européennes. La peinture murale de la niche des Efringen à l'église Saint-Pierre de Bâle (seconde moitié du XIV+

e s.), correspond parfaitement à l'esprit du gothique international. La Mise au tombeau renvoie à des modèles géographiquement lointains (Avignon ou Prague).

La Suisse méridionale fut également touchée par le renouveau "international" au XIVe s. Les fresques de Notre-Dame-de-l'Assomption, à Brione (Verzasca) et de Notre-Dame-des-Hirondelles, à Campione d'Italia, furent probablement exécutées par des peintres itinérants italiens. La richesse des détails, le plaisir de la narration, la prédilection pour des éléments architecturaux qui créent une perspective audacieuse traduisent l'influence de la révolution picturale de Giotto et marquent une rupture radicale avec la peinture tessinoise des siècles précédents.

L'époque moderne

La Renaissance

Comme dans le reste de l'Europe, la Renaissance prit le pas sur le gothique en Suisse au XVe s. en renouvelant profondément les techniques, les formes et les sujets. Les peintres partirent alors à la "conquête de la réalité"; cela se traduisit par des changements radicaux dans la manière de rendre la perspective, de représenter les corps et d'observer la nature. Une fois encore, des influences extérieures (Bourgogne, Lombardie, Rhin supérieur) fertilisèrent la peinture suisse, dont les représentants développèrent à leur tour des solutions reprises par les artistes des sphères culturelles voisines. La Pêche miraculeuse (1444), scène biblique que le peintre bâlois Konrad Witz situa dans les environs de Genève, fait date comme l'une des premières représentations paysagères topographiquement exactes de la Renaissance. Les évocations de la vie quotidienne et politique se multiplièrent; elles occupent une place centrale à partir de 1470 dans les chroniques illustrées (de Diebold Schilling notamment) et apparaissent accessoirement dans les images sacrées, comme dans le Martyre des saints Felix et Regula de Hans Leu le Vieux (vers 1500), orné d'un panorama de la ville de Zurich. La représentation des figures humaines atteignit un degré de réalisme inconnu jusqu'alors, par exemple dans la fresque de la Danse macabre" de Bâle (vers 1440); la ressemblance individuelle prit une importance croissante dans les portraits de donateurs (tels les seigneurs d'Eschenbach sur un panneau de 1438 provenant de l'abbaye cistercienne de Kappel am Albis). Les peintres étendirent leur registre narratif, tant dans le domaine religieux que profane; ils y furent aidés par l'essor concomitant de la gravure. Les nouveaux motifs aboutirent à la création de cycles de fresques comme la Légende de la sainte Croix à Wiesendangen (1496-1498) ou la série des Neuf héros décorant la salle des Calendes du château de Valère à Sion (vers 1470). En Suisse italienne, c'est l'atelier prolifique des Seregnesi (membres de la famille da Seregno) qui agrémenta les épisodes sacrés de scènes quotidiennes finement observées, dans les églises Notre-Dame près du château de Mesocco (1459-1469) ou Saint-Nicolas à Giornico (1478).

La Pêche miraculeuse, par Konrad Witz. Face extérieure de l'un des deux volets du retable de Saint-Pierre provenant de la cathédrale de Genève. Huile sur bois, 1444, photographie de Bettina Jacot-Descombes (Musée d'art et d'histoire Genève, no inv. 1843-0011).
La Pêche miraculeuse, par Konrad Witz. Face extérieure de l'un des deux volets du retable de Saint-Pierre provenant de la cathédrale de Genève. Huile sur bois, 1444, photographie de Bettina Jacot-Descombes (Musée d'art et d'histoire Genève, no inv. 1843-0011). […]

La Réforme fut déterminante pour l'évolution ultérieure de la peinture suisse. La querelle sur le culte des images, qui entraîna la destruction de nombreux panneaux sacrés (Iconoclasme), éclaire l'idée que l'on se faisait alors de la peinture. L'influence qui lui était conférée allait bien au-delà de la fonction illustrative et éducative: les figures de saints, par exemple, pouvaient être perçues comme l'incarnation même du personnage représenté et donc investies d'un pouvoir miraculeux (images miraculeuses). Partageant au fond cette conviction, les iconoclastes les traitaient comme des personnes physiques: ils organisaient des procès, condamnaient les images, puis ils les exécutaient.

Ces événements furent lourds de conséquences pour l'ensemble de la production artistique. Alors que la peinture religieuse disparut brusquement dans les régions protestantes, elle devint l'instrument indispensable de l'affirmation religieuse et de la propagande théologique dans les régions catholiques. L'interdiction des images religieuses dans les cantons protestants favorisa la diffusion de nouvelles catégories picturales: peinture d'histoire, de genre, portrait, paysage. Suivant un mouvement amorcé par la Renaissance italienne, les peintres essayèrent d'échapper à leur condition d'artisans. L'aspiration au statut d'artiste indépendant se traduisit notamment par la multiplication des autoportraits. Le manque de clients ou les limites imposées par les corporations obligeaient souvent les peintres suisses à chercher fortune à l'étranger. Les artistes revenus au pays après un exil temporaire eurent une influence stimulante. La peinture suisse profita aussi de l'apport d'artistes étrangers travaillant en Suisse. La vie et l'œuvre de Hans Holbein le Jeune, actif à Bâle, illustrent de manière exemplaire ces diverses facettes de la peinture du XVIe s.

Parmi les autres artistes maîtrisant tout le répertoire pictural de la Renaissance, il faut citer Hans Asper à Zurich (remarquable portraitiste), Tobias Stimmer à Schaffhouse (fresquiste et portraitiste) et Nicolas Manuel à Berne (peintre de scènes religieuses et mythologiques). La vie militaire devint au XVIe s. l'un des thèmes favoris des peintres et graveurs suisses, ainsi que des auteurs de vitraux armoriés.

Le baroque

La tendance à partir travailler à l'étranger se renforça encore au XVIIe s. Joseph Heintz, éminent peintre maniériste, œuvra à la cour de Prague. Jean Petitot, de Genève, et son fils homonyme pratiquèrent le portrait sur émail auprès des cours anglaise et française. Les Tessinois Giovanni Serodine et Pier Francesco Mola, comme d'autres artistes de Suisse italienne (Maestranze), se firent un nom à Rome, dans la peinture religieuse. Après le retour de Serodine à Ascona, ses compatriotes profitèrent de son expérience. Au milieu du XVIIe s., le Bernois Joseph Werner, formé à la peinture de cour à Paris et Augsbourg, réalisa des portraits de patriciens bernois, des allégories dans le goût baroque européen, ainsi que des scènes historiques.

La Réforme catholique stimula la peinture religieuse en Suisse alémanique et au Tessin. Les églises s'ornèrent de cycles de panneaux (Hergiswald) et de décors éphémères (tenture de carême de Steinen, 1605) destinées à instruire les fidèles. La relation forte avec Rome encouragea l'importation de tableaux italiens, qui exercèrent une influence sur des maîtres indigènes comme Renward Forer, principal représentant de l'art sacré lucernois. Les commandes officielles favorisèrent les sujets politiques, comme les serments d'alliances historiques ou contemporains (cycle du pont de la Chapelle à Lucerne). Les mythes fondateurs de la Confédération devinrent un sujet de prédilection pour les graveurs dès le XVIe s. (Serment du Grütli de Joseph Werner, 1677). Au XVIIe s., des peintres se spécialisèrent dans le paysage qui tendait à se constituer en genre autonome depuis le XVIe; parmi eux, il faut citer Felix Meyer, de Winterthour, et Albrecht Kauw, venu de Strasbourg, auteur de vues prestigieuses de manoirs patriciens bernois. Quant à la nature morte, elle fut introduite en Suisse par Samuel Hofmann dans les années 1630, à son retour des Pays-Bas.

Au XVIIIe s., la création d'académies et l'organisation d'expositions suscitèrent de plus en plus de vocations dans les différents genres picturaux. Des femmes peintres comme Anna Waser et Angelika Kauffmann commencèrent aussi à se faire un nom. Les premiers exemples notables de peinture populaire (peinture votive notamment) datent aussi de cette époque (Arts populaires). Le portrait prit de l'importance: il répondait au besoin de prestige des détenteurs du pouvoir sous l'Ancien Régime. Parmi les éminents portraitistes suisses, qui souvent travaillèrent aussi à l'étranger, figurent Anton Graf, de Winterthour, actif en Allemagne, le Genevois Jean-Etienne Liotard, qui vécut à Londres, Rome, Istanbul, La Haye et Vienne, Johann Melchior Wyrsch, de Stans, qui œuvra en Suisse et en France, et le Vaudois Jacques Sablet, qui peignit à Rome. Emanuel Handmann, établi à Berne, fit le portrait des élites scientifiques et politiques locales.

La peinture de paysage se renouvela profondément au XVIIIe s. La simple restitution topographique de l'environnement céda le pas à une vision sublimée du monde alpestre et de la nature, sous le pinceau de Caspar Wolf et des petits maîtres (Johann Ludwig Aberli, Heinrich Rieter, Johann Jakob Biedermann notamment). Ceux-ci documentaient les curiosités paysagères de la Suisse en les fixant sur des toiles composées avec minutie en atelier, servant et encourageant ainsi le tourisme naissant. Les images typées des costumes suisses peints par Joseph Reinhart témoignent de l'intérêt porté alors à la culture régionale.

Dans les églises, le XVIIIe s. multiplia les plafonds peints, rigoureusement composés afin de susciter l'étonnement des fidèles. Les maîtres du genre venaient du sud de l'Allemagne, du Tessin et du nord de l'Italie: mentionnons les frères bavarois Cosmas Damian et Egid Quirin Asam (église conventuelle d'Einsiedeln), les frères Giuseppe Antonio et Giovanni Antonio Torricelli, de Lugano (plusieurs églises de Suisse alémanique). Giuseppe Antonio Petrini est le peintre d'église le plus fameux de cette époque au Tessin, tandis que des représentants des familles Carlone, Casella, Colomba et Tencalla œuvraient dans les cours princières allemandes et en Italie. Dans les régions alémaniques catholiques, Johann Melchior Wyrsch se fit connaître par ses tableaux religieux.

Dans le domaine de la peinture d'histoire, il faut citer le genevois Jean-Pierre Saint-Ours, qui figure parmi les grands représentants de l'art français de la Révolution. L'œuvre du Zurichois Johann Heinrich Füssli échappe en revanche à toutes les catégories; il émigra très tôt en Angleterre où il illustra différents textes littéraires; ses tableaux influenceront les peintres surréalistes du XXe s.

Le XIXe siècle

Les bouleversements sociaux du XIXe s. entraînèrent une démocratisation de la peinture. De support servant la gloire et les valeurs d'une petite élite, elle se transforma en un moyen de communication ouvert à de larges couches de la population. Sociétés des beaux-arts et sociétés d'artistes organisèrent des expositions et jouèrent un rôle déterminant dans la création de musées (marché de l' art). Devenue plus accessible, la peinture s'entoura d'un public de connaisseurs. On lui donna de plus en plus souvent un rôle à la fois divertissant et instructif, par exemple dans les panoramas du lac de Thoune, de la bataille de Morat ou de l'armée Bourbaki. Tableaux et gravures firent désormais partie du mobilier obligé d'un intérieur bourgeois, tandis que la grande bourgeoisie devenait l'agent moteur du mécénat et se constituait des collections. Cette demande entraîna une professionnalisation et une croissance considérable de la production. En même temps, le nombre d'autodidactes augmenta; ils furent à l'origine de nouveaux genres populaires, comme Bartholomäus Lämmler, le père de la peinture appenzelloise.

La plupart des peintres suisses du XIXe s. acquirent leur expérience à l'étranger, l'impressionniste Frank Buchser allant même jusqu'en Amérique. Ils se montrèrent très réceptifs aux nouvelles tendances (peinture de plein air, impressionnisme ou symbolisme) nées dans les métropoles artistiques qu'étaient alors Munich, Paris, Rome, Milan et Vienne. Quelques artistes firent carrière à l'étranger: le Neuchâtelois Léopold Robert à Rome, avec ses évocations romantiques de la population rurale italienne; le Genevois Jacques-Laurent Agasse en Angleterre, comme peintre animalier et de genre; le Bâlois Arnold Böcklin en Allemagne et en Italie, avec ses scènes mythologiques et ses peintures d'ambiance; le Tessinois Antonio Ciseri à Florence, avec des toiles sacrées et d'histoire; le Lausannois Félix Vallotton à Paris, membre important du groupe des Nabis et précurseur de la Nouvelle Objectivité.

Simultanément, plusieurs personnalités exceptionnelles développèrent une production originale, souvent teintée de patriotisme, non sans rencontrer un certain succès à l'étranger. Alexandre Calame devint le maître de la peinture alpestre héroïque, Robert Zünd impressionna ses contemporains par la précision de ses paysages forestiers, Barthélemy Menn dévoila une vision intime et spontanée des paysages romands. Rudolf Koller, Albert Anker et Luigi Rossi durent leur célébrité à leurs évocations romantiques de la vie rurale et de la communauté villageoise. L'anachronique Poste du Gothard de Koller (1873) devint l'archétype de la peinture suisse idéalisante, au même titre que les images de bergers et de jeunes paysannes d'Anker, qui ne laissent rien entrevoir de la dure condition de la jeunesse paysanne d'alors. La peinture d'histoire du XIXe s. se montra en général tout aussi peu critique; parmi ses principaux représentants figurent Charles Gleyre, Antonio Barzaghi-Cattaneo, Ernst Stückelberg et Anker. Des événements historiques, des légendes, des scènes de la préhistoire (lacustres, Helvètes) servaient de sujet à des toiles parfois commandées par le jeune Etat fédéral lui-même, pour alimenter le mythe d'un peuple suisse modeste, prompt au combat comme au sacrifice.

La retraite de Marignan. Tableau central d'une fresque de Ferdinand Hodler, salle d'armes du Musée national à Zurich, 1899-1900 (Musée national suisse, Zurich).
La retraite de Marignan. Tableau central d'une fresque de Ferdinand Hodler, salle d'armes du Musée national à Zurich, 1899-1900 (Musée national suisse, Zurich). […]

L'évolution des moyens stylistiques de la peinture rendit de plus en plus difficile, pour ses acteurs critiques, l'accomplissement d'une mission patriotique. Ce conflit se cristallisa dans la personne de Ferdinand Hodler, figure tutélaire de la peinture suisse de la fin du XIXe s. Ce peintre qui révolutionna aussi bien le paysage et le portrait que la peinture de genre et d'histoire, se heurta d'abord à une vive résistance. Ses fresques historiques au Musée national de Zurich provoquèrent le premier scandale artistique national. Ensuite, ses œuvres furent peu à peu acceptées, grâce à la reconnaissance dont il jouit sur la scène artistique internationale. Ce revirement fut déterminant pour la peinture suisse du XXe s. Celle-ci n'aura plus à restituer le visible de manière aussi réaliste que possible. De nouvelles tendances stylistiques, comme le symbolisme ou l'Art nouveau, et de nouvelles techniques, comme le divisionnisme de Giovanni Segantini, se tourneront vers l'évocation formelle et colorée d'une ambiance et ouvriront la voie à la peinture abstraite.

Du XXe siècle au début du XXIe siècle

Femme à l'éventail. Huile sur toile d'Alice Bailly, 1913 (Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne; photographie Jean-Claude Ducret).
Femme à l'éventail. Huile sur toile d'Alice Bailly, 1913 (Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne; photographie Jean-Claude Ducret). […]

En interaction étroite avec ce qui se faisait à l'étranger, des peintres suisses du XXe s. développèrent des variantes originales: le "colorisme suisse", par exemple, inspiré du fauvisme français, dont les principaux représentants sont Giovanni Giacometti et Cuno Amiet. La dissolution cubiste des formes est perceptible très tôt dans l'œuvre d'Otto Morach et dans celle de Johannes Itten, membre du Bauhaus. En 1911, l'association Der Moderne Bund organisa sa première exposition, qui présentait des œuvres de Jean Arp, Pablo Picasso, Henri Matisse, Wassily Kandinsky et Paul Klee. Avec cette manifestation largement décriée par le public, la peinture avant-gardiste abstraite fit son entrée en Suisse. Des Allemands comme Ernst Ludwig Kirchner ou Arp, venus se réfugier en Suisse durant la Première Guerre mondiale, y préparèrent l'avènement de l'expressionnisme ou participèrent aux débuts du mouvement Dada. Paul Klee, qui vivait à Berne, travailla longtemps en Allemagne et enseigna au Bauhaus. Il cultiva une peinture surréaliste abstraite, opposée au surréalisme figuratif, d'inspiration française, de Meret Oppenheim; Max von Moos le suivit dans cette voie. L'intérêt pour une peinture purement géométrique, fondée sur la théorie des couleurs, culmina dans les années 1930 et 1940 avec les constructivistes et les artistes concrets, tels Camille Graeser, Max Bill, Fritz Glarner, Verena Loewensberg et Richard Paul Lohse.

Cependant, jusqu'au milieu du XXe s. c'est la peinture figurative surtout qui fit l'objet de commandes officielles et bénéficia donc d'un encouragement. La peinture patriotique, qui allait devenir le véhicule artistique de la défense spirituelle, est illustrée par la Landsgemeinde sagement réaliste d'Alberti Welti et Wilhelm Balmer (1914) qui orne la salle du Conseil des Etats au Palais fédéral, par le tableau panoramique teinté d'avant-gardisme réalisé par Hans Erni pour l'Exposition nationale de 1939, par la fresque du Serment du Grütli de Walter Clénin aux Musée des chartes fédérales à Schwytz (1947), alors que la polémique fit rage autour de projets plus modernes comme la peinture de Heinrich Danioth sur le mur extérieur de ce même musée (1935-1936). D'autre part, la peinture figurative retrouva un nouveau souffle avec les paysages d'Adolf Dietrich et les scènes de genre de Varlin, ainsi qu'à travers les œuvres expressionnistes tardives de René Auberjonois et Max Gubler.

La peinture moderne et l'abstraction ne furent vraiment acceptées par un public plus large qu'après la Deuxième Guerre mondiale. Fidèles à la tradition constructiviste, des peintres comme Italo Valenti ou John M. Armleder ont continué d'utiliser jusqu'au XXIe s. un langage pictural élaboré consciemment à partir de signes et de formes à valeur intrinsèque. D'un autre côté, l'effet inspirateur de l'acte même de peindre, l'abstraction gestuelle déjà à l'œuvre chez Alberto Giacometti, puis dans le tachisme et la peinture informelle, est devenue une véritable forme artistique pour Hans Falk, Helen Dahm, Gérard Schneider ou Rolf Iseli, de même que pour des artistes plus jeunes comme Martin Disler. La peinture figurative a perduré aussi, tant dans l'hyperréalisme d'un Franz Gertsch, que dans les créations surréelles de Jean-Frédéric Schnyder, Alex Sadkowsky ou Claude Sandoz. La peinture a été de plus en plus souvent mise à contribution pour des installations, combinée avec d'autres techniques et à des matériaux qui lui sont étrangers. De tels mélanges étaient déjà présents chez Jean Tinguely et Daniel Spoerri; plus récemment, la couleur a été utilisée pour transformer des déchets, par Urs Frei notamment. Enfin, à l'ère de la numérisation, la peinture a gardé une fonction importante en tant que forme artistique authentique et autonome.

Sources et bibliographie

  • J. Gantner, A. Reinle, Hist. de l'art en Suisse, 2 vol., 1941-1956 (trad. partielle de Kunstgeschichte der Schweiz, , 4 vol., 1936-1962)
  • From Liotard to Le Corbusier, cat. expo Atlanta, 1988
  • AH, 5-6, 10, 12
  • Arte in Ticino, cat. expo. Lugano, 4 vol, 2001-2004
  • J. Albrecht et al., Das Kunstschaffen in der Schweiz 1848-2006, 2006
Liens

Suggestion de citation

Matthias Oberli: "Peinture", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 30.06.2010, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/011008/2010-06-30/, consulté le 19.03.2024.