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Marché de l'art

Au XVIIIe s., les premiers marchands sont des artistes ou des collectionneurs. En 1767, le graveur Christian von Mechel (1737-1817) ouvre à Bâle une galerie, à l'image de celles qu'il a fréquentées à Paris ou à Rome. Elle devient bientôt un passage obligé des amateurs d'art européens, mais ne résiste pas à la chute de l'Ancien Régime et est liquidée entre 1806 et 1808. En 1792 le graveur de médailles Johann-Friedrich Huber (1767-1823) inaugure à Bâle la galerie Falkeisen-Huber. En 1815, il s'associe au paysagiste Peter Birmann (1758-1844), lequel fait aussi du négoce depuis la Révolution française. Leur entreprise disparaît en 1830. A Genève, le portraitiste Jean-Etienne Liotard (1702-1789), sans avoir de galerie commerciale, vend dans toute l'Europe ses propres œuvres et des tableaux hollandais et flamands dont il fait collection. Il expose une partie de ses pastels avec les toiles de sa collection à Paris en 1771, puis à Londres en 1773, avant de les mettre aux enchères chez Christie's, à Londres, en 1774. Le banquier genevois François Tronchin (1704-1798) est l'un des premiers collectionneurs-marchands. En 1770, il vend ses peintures hollandaises et flamandes à la tsarine Catherine II. En 1801, il met aux enchères à Paris la nouvelle collection de maîtres anciens qu'il a réunie. Son exemple est suivi, plus modestement, par le Bernois Franz Sigmund Wagner (1759-1835).

L'histoire du marché au XIXe s. reste encore à faire. La vente d'une partie du trésor de la cathédrale de Bâle en 1836, puis la liquidation des biens des couvents sécularisés entre 1841 et 1848, accompagnées de ventes plus discrètes de vitraux, de manuscrits enluminés, de mobilier, de pièces d'orfèvrerie, de tissus anciens, de sculptures et de peintures provenant de familles, de municipalités ou de couvents suisses, attire l'attention des collectionneurs européens. A la fin du XIXe s., on rencontre des antiquaires assez importants: Bosshard, Leemann-Bollag, Troxler à Lucerne; Geering, Lang à Bâle; Gubler à Zurich; Picard, Dreyfuss à Genève. Dans la mesure où les artistes ne vendent pas directement leurs œuvres aux amateurs, ils cherchent à écouler leur production à travers un marché spécialisé. D'une part, les associations d'artistes, poursuivant l'organisation d'expositions-ventes amorcée à Genève en 1789, présentent dans les villes principales des expositions destinées à une clientèle locale, accompagnées ou non de loteries. La plus grande sur le plan national est l'exposition annuelle, dite Turnus. Dans certaines villes, les groupements d'artistes aménagent des points de vente ouverts toute l'année, comme la "Permanente", à Genève, dès le milieu du XIXe s. Les Kunsthallen de Bâle (1872) et de Berne (1918) servent, à l'origine, au même but. D'autre part, des vendeurs de fournitures pour artistes se transforment peu à peu en marchands de tableaux. La maison Appenzeller, à Zurich, fait cette mutation au cours du dernier tiers du XIXe s., suivie par d'autres boutiques de fournitures ou de cadres, mais aussi par des imprimeurs ou des libraires. Parmi les galeries consacrées presque exclusivement à la vente de tableaux "modernes", suisses ou étrangers, on peut citer, à Genève: Dunki (1898), Eggimann (1898), Muriset (1900) Moos (1906, grande galerie inaugurée en 1918), Ponti (1916), Wyatt (1916), Kundig (vers 1918); à Zurich: Wolfsberg (1911), Bollag (1912), Tanner (1913), Neupert (1913); à Berne: Wyss (1913); à Lausanne: Vallotton (1913), filiale de Bernheim Jeune à Paris.

Au cours de la Première Guerre mondiale, des marchands étrangers, comme Daniel-Henry Kahnweiler, trouvent refuge en Suisse, mais sans y exercer pleinement leur négoce. La relative stabilité monétaire et politique de la Suisse de l'entre-deux-guerres permet un nouveau développement du commerce. En 1919, Gutekunst & Klipstein transfèrent leur galerie de Stuttgart à Berne. On voit s'ouvrir de nouvelles galeries, spécialisées dans l'art moderne, comme Coray (Bâle, 1917) ou Aktuaryus (Zurich, 1924). La création de l'Association du commerce de l'art de Suisse en 1923, pour lutter contre les pratiques commerciales douteuses, témoigne d'une profession en expansion. A la fin des années 1930, la Suisse devient une place de transit pour l'"art dégénéré" chassé des musées allemands et vendu par les nazis, et pour des œuvres d'art volées aux juifs. Après 1940, s'y ajoutent les confiscations dans les pays occupés.

Vente aux enchères à la galerie Theodor Fischer à Lucerne. Photographie de Hans Staub, 1942 (Fotostiftung Schweiz, Winterthour) © Fotostiftung Schweiz.
Vente aux enchères à la galerie Theodor Fischer à Lucerne. Photographie de Hans Staub, 1942 (Fotostiftung Schweiz, Winterthour) © Fotostiftung Schweiz. […]

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les marchands et collectionneurs étrangers, dont plusieurs ont vécu en Suisse, contribuent à affermir le marché. De nouvelles galeries s'ouvrent, comme celles de Raeber et de Beyeler à Bâle, de Meissner, de Nathan et de Feilchenfeld à Zurich, de Rosengart à Lucerne, d'Engelberts, de Krugier et de Cramer à Genève, suivies, dès 1960, d'une floraison de succursales des plus importantes maisons européennes et américaines. La naissance de la Foire suisse des antiquaires (à Berne en 1959, puis à Bâle) et du Salon international d'art du XXe s., à Bâle, en 1970, ainsi que d'autres salons régionaux, permet de présenter annuellement l'offre des principaux négociants d'art.

Depuis 1970, l'évolution du marché se caractérise par deux axes. D'une part, le négoce haut de gamme (parfois très discret) se spécialise toujours plus (art contemporain, archéologie, bijouterie), s'internationalise et se concentre à Zurich, Bâle et Genève. D'autre part les petites galeries d'art (travaillant presque exclusivement dans le domaine contemporain), les antiquaires (de moins en moins spécialisés) et les brocanteurs prolifèrent dans les villes et à la campagne, mais n'ont souvent qu'une vie éphémère. Ce commerce ne concerne les artistes suisses contemporains que d'une façon marginale. Parmi les grandes galeries actives au niveau international, celles qui prennent des créateurs suisses sous contrat sont rarissimes; ceux-ci ont un peu plus de succès auprès des petites et moyennes galeries. Quelques-unes se font néanmoins un point d'honneur de soutenir efficacement des artistes du pays.

Vente aux enchères de la galerie Koller à Zurich en novembre 1964. Affiche de Walter Grieder (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).
Vente aux enchères de la galerie Koller à Zurich en novembre 1964. Affiche de Walter Grieder (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).

La pratique des ventes aux enchères a également modifié le marché d'une manière considérable. Les ventes publiques ne sont pas inconnues en Suisse au XIXe s. (fonds Mechel, à Bâle en 1810; trésor de la cathédrale de Bâle, à Liestal en 1836). Mais pendant longtemps, les grandes collections suisses sont dispersées aux enchères à l'étranger, là où se trouvent les marchands les plus puissants et la clientèle la plus nombreuse: Henneberg (Zurich) à Munich en 1903; La Roche-Ringwald (Bâle) à Berlin en 1910; Günzburger (Genève) à Munich en 1913. A partir de 1914 certains marchands suisses organisent régulièrement des ventes aux enchères. Selon l'usage allemand, mais au contraire de la France ou de l'Angleterre, ces ventes sont le fait de galeries possédant leur propre fonds de commerce. En général elles n'ont lieu qu'une à deux fois l'an. Les ventes sont d'abord concentrées à Zurich (Messikommer, 1914; Kündig, 1920; Bollag, 1925; Laube-Kündig, 1937); puis elles ont lieu également à Genève (Moos, 1920; Kündig, 1921), Lucerne (Fischer, l922) et à Berne (Gutekunst & Klipstein, 1924). Après la Deuxième Guerre mondiale, le commerce en galerie perd en volume au profit des ventes aux enchères. A côté des galeries solidement établies avant la guerre, comme Fischer à Lucerne, Kornfeld-Klipstein à Berne (leader mondial dans le domaine de l'estampe) ou Laube à Zurich, de nouvelles entreprises s'installent, comme celles de Stucker à Berne (1948), Motte à Genève (1954), Koller à Zurich (1960), rejointes peu après par les filiales de Christie's et Sotheby's, à Genève et à Zurich, attirées par des conditions fiscales favorables, la liberté d'établissement et l'absence de limitations aux exportations. Au tournant du XXIe s., ces facteurs permettent à la Suisse d'occuper la quatrième place du marché de l'art, derrière les Etats-Unis, l'Angleterre et la France. Toutefois, le commerce légal n'est pas seul à profiter de ces avantages. La Suisse a la réputation d'être une plaque tournante pour le trafic frauduleux. Elle n'a pas encore signé la convention Unidroit sur la restitution de biens culturels volés ou illégalement exportés (1995). Une loi fédérale sur le transfer international des biens culturels, qui applique la convention de l'Unesco de 1970, est toutefois entrée en vigueur en 2005.

Sources et bibliographie

  • L.H. Wüthrich, Christian von Mechel, 1956
  • G. Reitlinger, The Economics of Taste, 3 vol., 1961-1970
  • R. Loche, «Cat. des collections de François Tronchin», in Genava, 22, 1974, 1-217
  • D. Bollin, Le marché des arts plastiques, 1976
  • R. Loche, «Jean-Etienne Liotard, peintre et collectionneur-marchand», in Genava, 28, 1980, 183-213
  • L. Gloor, Von Böcklin zu Cézanne, 1986
  • G. Kreis, "Entartete" Kunst für Basel, 1990
  • Th. Buomberger, Raubkunst ― Kunstraub, 1998
  • A.F.G. Raschèr, Kulturgütertransfer und Globalisierung, 2000
  • Publ. CIE, 1
  • Traverse, 2002, no 1.
  • P.-A. Jaccard, «Der Kunst- und Kulturgütermarkt in der Schweiz», in Das Kunstschaffen in der Schweiz 1848-2006, 2006, 164-179
Liens

Suggestion de citation

Claude Lapaire: "Art, marché de l'", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 03.03.2010. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/010996/2010-03-03/, consulté le 19.03.2024.