Traduction:
Olivier Meuwly
On appelle votation, en Suisse, une prise de décision opérée dans une collectivité par l'ensemble de ses membres ayant le droit de vote. Contrairement à l'élection, elle porte sur des questions concrètes: ordonnances (règlements) ou actions (prestations) de la collectivité ou de ses organes. Le présent article se limite aux collectivités territoriales de droit public.
Les votations sont l'une des caractéristiques de la démocratie semi-directe, typique de la Suisse (Droits politiques). Elles plongent leurs racines d'une part dans les systèmes de prises de décision mis en place au Moyen Age dans des entités communales ou régionales jouissant de l'autonomie administrative et du droit à l'autodétermination (assemblées ouvertes en général, comme l'assemblée des communiers ou la landsgemeinde), et d'autre part dans les procédures de consultation des sujets masculins par les gouvernements des cantons confédérés (surtout Berne, Zurich) entre le XVe et le XVIIe s. (Consultations populaires).
Evolution des votations aux XIXe et XXe siècles
Auteure/Auteur:
Peter Gilg
Traduction:
Olivier Meuwly
La première votation populaire impliquant l'ensemble de la Suisse eut lieu sous la République helvétique. Mais ce ne fut guère qu'un simulacre, bien qu'elle portât sur un texte, la Constitution de 1798, qui attribuait aux citoyens le droit de décider des questions constitutionnelles. Une nouvelle Constitution fut présentée en 1802; les citoyens ne purent s'exprimer à son sujet qu'après s'être inscrits dans des registres officiels. Les personnes n'ayant pas participé au scrutin furent considérés comme ayant accepté le projet: son succès ne fut assuré que par cette manière de compter.
Les formes modernes de votation se développèrent d'abord dans les cantons. Si la plupart des constitutions cantonales de la Restauration entrèrent encore en vigueur sans l'accord direct des citoyens, le vote populaire portant sur les questions constitutionnelles s'imposa dès 1830 dans les cantons "régénérés" (à l'exception de Fribourg). Grâce au veto, introduit entre 1831 et 1841 à Saint-Gall, à Bâle-Campagne, en Valais et à Lucerne, les citoyens eurent la possibilité, soumise à des règles complexes et assez décourageantes, de bloquer l'adoption des lois et arrêtés du parlement (ainsi que de certains traités). Le principe de votations populaires générales visant des décrets qui n'étaient pas de rang constitutionnel était connu en Valais (Référendum populaire obligatoire entre 1844 et 1848) et dans le canton de Vaud (droit d'initiative général en 1845; initiative populaire).
La Constitution fédérale de 1848 soumit les questions constitutionnelles au verdict de la majorité non seulement des cantons, mais des citoyens; elle prescrivit aussi l'approbation du peuple pour les constitutions cantonales. Elle-même ne fut toutefois pas soumise au peuple. La plupart des cantons organisèrent néanmoins un scrutin de leur propre chef (quelques-uns l'avaient déjà fait en 1833, à l'occasion de la révision, qui avorta, du Pacte fédéral). Les votations, au niveau de la Confédération comme dans la plupart des cantons, restèrent rares jusqu'en 1870 environ; elles devinrent beaucoup plus fréquentes quand le mouvement démocratique se mit à étendre les instruments de la démocratie directe. Après diverses révisions cantonales survenues entre 1849 et 1858 (par exemple référendum législatif obligatoire dans les Grisons, facultatif à Soleure, référendum financier en Valais et à Neuchâtel), le référendum législatif obligatoire fut introduit, entre 1863 et 1873, à Bâle-Campagne, à Zurich, en Thurgovie, à Berne, à Soleure et en Argovie, le référendum législatif facultatif à Schaffhouse, Lucerne et Zoug, en général en lien avec l'initiative législative. La Constitution fédérale de 1874 instaura le référendum facultatif sur les lois et les arrêtés de portée générale. Les traités internationaux n'y furent soumis qu'en 1921. La plupart des autres cantons suivirent avant 1883, mais le Valais (en 1907) et Fribourg (en 1921) au XXe s. seulement.
Alors que les petites communes gardèrent jusqu'au XXIe s. comme organe délibérant une assemblée de tous les citoyens, nombre des plus grandes, surtout les villes, se dotèrent d'un parlement au cours de la seconde moitié du XIXe s.; cela permit à la démocratie semi-directe, avec le référendum (et parfois l'initiative), de s'insérer à l'échelon communal, d'abord dans les villes de Berne (1887) et de Zurich (1891), dans toutes les communes des cantons de Neuchâtel (1888) et de Genève (1895), ainsi que dans les grandes communes du Tessin (1897).
La question jurassienne poussa à l'organisation de votations communales et régionales, entre 1974 et 1989, dans la partie jurassienne du canton de Berne, afin de déterminer l'appartenance cantonale des entités concernées. Des votations portant sur le transfert d'une portion de territoire à un autre canton ne sont toutefois pas prévues dans le droit public général suisse; elles portent le nom distinctif de plébiscite.
Les conditions juridiques auxquelles sont soumises aujourd'hui les votations (suffrage universel, égal, libre et secret), sauf dans les landsgemeinde et les assemblées communales, ne s'imposèrent que progressivement au cours du XIXe s. Sous la Régénération, certains cantons (et Lucerne en 1848 encore), comptaient les abstentions comme des oui. Les autorités fédérales ne purent imposer aucune procédure unifiée aux cantons, même pour les votations et élections fédérales. Le vote secret (par dépôt d'un bulletin dans une urne), ne devint la règle dans les cantons qu'après 1870: les derniers à l'introduire furent Saint-Gall, Lucerne, Fribourg et Bâle-Campagne, dans les années 1890. Le cercle des personnes dotées du droit de vote ne s'élargit que peu à peu. Dans certains cantons, les nouveaux venus, les assistés, les gens qui ne payaient pas d'impôts et les faillis furent privés du droit de vote jusqu'à la fin du XIXe s. ou au début du XXe. Les femmes restèrent exclues des votations jusque dans la seconde moitié du XXe s. (Suffrage féminin), les jeunes entre 18 et 20 ans jusqu'au dernier tiers du siècle.
La fréquence des votations dans les cantons varie très fortement; loin en tête se trouve Zurich (14,1 objets par année entre 1979 et 1997), suivi de Soleure (9,6) et Bâle-Campagne (8,9), tandis que Fribourg (2,2), le Tessin (1,5) et le Jura (1) ferment la marche. Les différences résultent en partie de l'organisation des droits populaires (portée matérielle, déclenchement facultatif ou obligatoire, nombre de signatures exigé). Le recours au vote est aussi l'expression de la culture politique de chaque canton et du climat politique qui y règne. Les décisions populaires sont en général plus fréquentes en Suisse alémanique que dans les autres régions du pays. Sur le plan chronologique, le nombre des votations fédérales est relativement élevé dans les années 1920, dans les années 1950 et depuis les années 1970.
La signification politique des votations
Auteure/Auteur:
Peter Gilg
Traduction:
Olivier Meuwly
Les votations apparaissent comme l'expression la plus sensée du principe de la souveraineté populaire dans la démocratie de masse moderne. En se prononçant sur des questions concrètes, les citoyens exercent une influence plus directe sur l'action des autorités que par les élections; en déposant leur bulletin dans l'urne, ils donnent leur avis de manière plus indépendante que dans une assemblée ouverte, mais aussi plus contraignante que dans un sondage représentatif. Ces diverses caractéristiques confèrent aux décisions prises par voie de votation une légitimité démocratique élevée. Au respect de la souveraineté populaire qui fonde de telles considérations fut opposé, déjà sous la Régénération, le point de vue selon lequel la qualité du droit ne saurait être garantie que par une élite. Contre la supériorité qualitative du jugement politique attribuée à celle-ci, le socialisme fit valoir au XIXe s. déjà que la bourgeoisie imposait ses propres intérêts de classe par le biais des institutions qu'elle avait créées. Le mouvement démocratique attendit ainsi de la démocratie semi-directe une politique plus adaptée à l'intérêt général.
Jusqu'au milieu du XXe s., le vote des citoyens resta fortement marqué par les représentations collectives de grands groupes sociaux (libéraux, conservateurs, ouvriers, bourgeoisie, paysans), qui diffusaient leurs idées et défendaient leurs intérêts surtout à travers leurs journaux et l'action publique de leurs porte-parole. Le recul des idéologies et l'individualisation ont entraîné un déclin de ces repères. Les enquêtes politologiques ont montré qu'aujourd'hui une grande partie des personnes ayant le droit de vote sont plus ou moins dépassées par le contenu, jugé complexe, des objets qui leur sont soumis. Ce phénomène, tout en facilitant le jeu des influences, est une cause d'abstentionnisme. La participation a ainsi significativement baissé dans les années 1950 et 1960, plus de la moitié des citoyens s'abstenant occasionnellement, par manque d'intérêt pour l'objet soumis au vote. Depuis 1980, les taux de participation les plus élevés ont été atteints à l'occasion des votations sur l'adhésion à l'EEE en 1992 (78,7%), sur l'initiative pour l'abolition de l'armée en 1989 (69,2%) et sur l'adhésion à l'ONU en 2002 (58,4%). Les campagnes passent aujourd'hui principalement par des interventions et déclarations de personnalités politiques dans les médias, ainsi que par des actions publicitaires conduites de façon professionnelle (annonces, affiches, envois postaux, etc.), ce qui pose le problème de l'inégalité des moyens financiers engagés. La publicité politique joue un rôle bien plus important lorsque les objets en votation sont complexes que lorsque leurs conséquences sont plus compréhensibles. C'est ainsi que les sujets les plus contestés débouchent sur de vives controverses (campagnes de votation), qui donnent à la vie politique fédérale un dynamisme relayé dans les médias.