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Séparation des pouvoirs

Le concept de séparation des pouvoirs, au sens large, désigne depuis l'Antiquité la division des fonctions étatiques selon le principe de constitution mixte, qui demande de répartir le pouvoir entre différents organes ou personnes. Au sens étroit, il signifie la séparation des missions de l'Etat en trois pouvoirs, le législatif, l'exécutif et le judiciaire.

Histoire du concept

Sous l'absolutisme des temps modernes, qui attribuait au monarque toute la puissance et en particulier la faculté législative sans partage, les pouvoirs n'étaient pas séparés. Face à cette réalité, Locke et Montesquieu plaidèrent pour une constitution mixte qui respecterait la répartition de la souveraineté entre plusieurs entités politiques (roi, noblesse, représentation populaire). Par contre, selon la conception de la souveraineté populaire représentée par Rousseau, le peuple devait détenir seul toute la puissance législative. Si Rousseau rejetait la séparation des pouvoirs, comprise comme une division de la souveraineté, il n'en exigeait pas moins une répartition des fonctions; l'application des lois ne devait pas être du ressort du peuple, mais du gouvernement.

Des éléments de régime mixte sont visibles dans les Constitutions américaine de 1787 et française de 1791. Aux Etats-Unis, où l'on trouve un mélange d'éléments monarchique (le président), aristocratique (le Sénat) et démocratique (la Chambre des représentants), le pouvoir législatif revient au Congrès et le pouvoir exécutif, au président. Leurs compétences respectives sont toutefois limitées par des checks and balances (poids et contrepoids). Dans la première phase de la Révolution française, la souveraineté fut d'abord détenue conjointement par l'Assemblée nationale et par le roi. Après la destitution de ce dernier, le peuple devint, par la Constitution de 1793, l'unique souverain et législateur et le gouvernement fut strictement subordonné aux lois. Cette structure fut maintenue dans la Constitution de 1795, mais une séparation organisationnelle nette entre le législatif et le Directoire fut introduite, afin d'éviter que ce dernier puisse usurper le pouvoir législatif.

Sous l'influence de Kant, la théorie du droit et de l'Etat du XIXe s. s'appropria la tripartition des fonctions étatiques entre la législation (législatif), l'application du droit (exécutif) et la justice (judiciaire). En droit public positif cependant, les trois pouvoirs n'étaient généralement pas répartis entre trois organes séparés. La séparation des pouvoirs était la plupart du temps comprise comme une division de la souveraineté, dans le sens d'un régime mixte. C'est ainsi que, dans les monarchies constitutionnelles, le pouvoir législatif était assuré en commun par le Parlement et le monarque, qui apparaissait en même temps comme le chef de l'exécutif. Cette conception s'effondra au XXe s., avec la victoire des idées démocratiques. La séparation des pouvoirs fut désormais conçue comme la répartition des trois fonctions entre trois organes (peuple/Parlement, gouvernement, tribunaux). Le principe de la légalité (soumission de l'administration et des tribunaux à la loi) devait garantir à la fois la séparation des fonctions et la priorité du législateur démocratique (Etat de droit). Il n'en résulte pas pour autant une séparation entre le législatif et l'exécutif au niveau des personnes dans la mesure où, dans les systèmes parlementaires, le gouvernement est souvent composé de membres du Parlement. En revanche, depuis le XIXe s., l'exécutif et la justice sont séparés tant sur le plan de l'organisation que sur celui du personnel.

De l'Ancien Régime à 1848

L'ancienne Confédération ne connaissait aucune distinction entre les fonctions étatiques, mais plutôt différentes formes de répartition de la puissance publique. Dans les cantons campagnards, la landsgemeinde exerçait le pouvoir suprême et fonctionnait également comme instance judiciaire supérieure, le Conseil ou Landrat était l'organe destiné à préparer et mettre en œuvre les décisions de la landsgemeinde; on lui laissait en outre la conduite des affaires moins importantes. Dans les cantons patriciens, la puissance suprême était détenue par le Grand Conseil. Le Petit Conseil (ou le Conseil secret) était un comité du Grand Conseil qui réglait les affaires courantes et préparait les délibérations du Grand Conseil. D'autres comités du Grand Conseil contrôlaient le Petit Conseil. Les Conseils officiaient également comme tribunaux suprêmes. Dans les pays sujets, tant les tâches administratives que la justice incombaient aux baillis. La basse justice et l'administration locale étaient exercées en général par des tribunaux et des comités locaux.

Page de titre et extrait du projet de la Constitution helvétique du 12 avril 1798 (Archives fédérales suisses, B0#1000/1483#76b*).
Page de titre et extrait du projet de la Constitution helvétique du 12 avril 1798 (Archives fédérales suisses, B0#1000/1483#76b*). […]

La Constitution helvétique de 1798, imitée de la Constitution française de 1795, se fonda sur l'idée de la souveraineté populaire. Celle-ci était représentée par le législatif, qui élisait en son sein le Directoire, pouvoir exécutif. Une délégation de compétences du législatif à l'exécutif était expressément interdite. Les Conseils législatifs n'avaient pas non plus le droit d'exercer le pouvoir exécutif ou judiciaire.

Dans les années 1830 et 1840, les constitutions cantonales des cantons régénérés reprirent les idées de la Constitution helvétique. Le Parlement, représentant du peuple souverain, détenait le pouvoir suprême, en particulier la puissance législative. Il élisait et surveillait l'exécutif (Petit Conseil). Sur le plan des fonctions et des personnes, il n'existait aucune séparation entre les fonctions étatiques; des actes administratifs importants relevaient du Parlement et, inversement, la législation était préparée par le Petit Conseil. Par séparation des pouvoirs, on entendait alors la séparation, de plus en plus effective, tant d'un point de vue organisationnel que personnel, entre l'administration et les tribunaux.

Etat fédéral

La Constitution fédérale de 1848 reposait sur la séparation des pouvoirs. L'Assemblée fédérale, composée du Conseil national et du Conseil des Etats, détenait le pouvoir législatif. Le Conseil fédéral était conçu comme organe de préparation et d'exécution de l'Assemblée et était soumis à la surveillance de celle-ci. Les rapports entre la justice et les autres pouvoirs ne furent guère discutés en 1848, dans la mesure où les compétences du Tribunal fédéral étaient encore très limitées.

La Constitution fédérale de 1874 ne modifia pas fondamentalement cette structure. Le Tribunal fédéral devint permanent et fut doté de compétences élargies. Des propositions, empruntées au modèle américain et qui auraient amené à considérer le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale comme des pouvoirs équivalents, furent écartées au cours des discussions. Après 1874 cependant, dans la pratique, la position du Conseil fédéral se renforça, tandis que les compétences de l'Assemblée furent en grande partie limitées aux actes législatifs. L'Assemblée et le Conseil fédéral demeurèrent pourtant fonctionnellement intriqués, puisque le second préparait les lois et édictait de plus en plus des ordonnances (pouvoir réglementaire).

Grâce aux pleins pouvoirs en vigueur pendant les deux guerres mondiales et sous l'effet de l'esprit autoritaire des années 1930, l'influence du Conseil fédéral augmenta sensiblement et celle de l'Assemblée fédérale diminua. En réaction, après la Deuxième Guerre mondiale, la doctrine du droit public, et de plus en plus la pratique, lièrent fondamentalement l'activité réglementaire du Conseil fédéral et de l'administration fédérale à l'exigence d'une base légale. Après l'affaire des Mirage, en 1964, se développa une controverse, qui n'a pas cessé, entre le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale sur la portée de la surveillance parlementaire, et qui est alimentée par le fait que les deux parties se réfèrent à des conceptions différentes de la séparation des pouvoirs. L'indépendance de la juridiction civile et pénale est, quant à elle, la plus complètement garantie. L'extension de la juridiction administrative est de plus en plus considérée comme un effet du principe de la séparation des pouvoirs, alors qu'à l'origine le Conseil fédéral lui déniait cette qualité.

La doctrine reconnaît largement l'ambiguïté des théories de la séparation des pouvoirs et la dimension insatisfaisante d'une conception centrée sur les trois fonctions "classiques", alors même que la plupart des nouvelles constitutions reprennent pleinement cette conception. Il en résulte une certaine tension entre un droit constitutionnel attaché à une construction théorique éloignée de la pratique et la réalité qui, d'un côté, relativise cette construction et, de l'autre, connaît quantité de nouvelles formes de concentration de pouvoirs, mais aussi de frein à ces mêmes pouvoirs. Ces derniers éléments sont toutefois moins thématisés sur le plan du droit constitutionnel.

Sources et bibliographie

  • L. Boissier, Le principe de la séparation des pouvoirs dans l'établissement de la démocratie en Suisse, 1919
  • O.W. Kägi, Zur Entstehung, Wandlung und Problematik des Gewaltenteilungsprinzipes, 1937
  • S.A. Hamed, Das Prinzip der Gewaltenteilung und die Beaufsichtigung der Regierung durch das Parlament, 1957
  • W. Beeler, Personelle Gewaltentrennung und Unvereinbarkeit in Bund und Kantonen, 1983
  • H. Seiler, Gewaltenteilung, 1994, 13-65, 409-610
  • A. Kölz, Hist. constitutionnelle de la Suisse moderne, 2006 (all. 1992)
Liens

Suggestion de citation

Hansjörg Seiler: "Séparation des pouvoirs", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 23.02.2012, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/010096/2012-02-23/, consulté le 19.03.2024.