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Rentes constituées

Au sens étroit du terme, une rente constituée était liée au paiement d'un capital-argent et était une forme de crédit, développée en France sous l'Ancien Régime. Plus couramment, on peut dire que toutes les rentes sont constituées et cet article les passe toutes en revue. Les rentes désignent différentes sortes de revenus réguliers ne provenant pas d'un travail, mais du rendement d'un capital auquel le créancier a droit. Elles existent dans tous les secteurs économiques; d'abord liées à l'économie agricole, puis, de plus en plus souvent au secteur financier, elles relèvent aujourd'hui surtout du domaine social et de celui des assurances. Les rentes sont régies par le Code civil, dans les parties consacrées au droit matrimonial, à celui de la famille et aux successions.

Le terme de rente, apparu au Moyen Age classique (du lat. reddere, rendre), avait à l'origine le sens de jouissance régulière d'un profit ou d'un rendement provenant d'un bien foncier. Il désignait aussi un revenu versé en retour d'un capital aliéné (donc une rente constituée au sens strict). Plus généralement, rente signifiait encore intérêt. La personne qui touche une rente est un rentier. Au Moyen Age, le rentier était celui qui payait une rente au seigneur; depuis l'époque moderne, il est celui qui reçoit une rente. Au XIXe s. et au début du XXe s. encore, rentier désignait une personne vivant du revenu de sa fortune.

Les rentes provenant de l'économie agricole

Dès le bas Moyen Age, le système de rentes fut utilisé dans l'économie agricole à cause de l'influence grandissante de l'économie de marché urbaine. La production agricole orientée vers le marché supplanta celle de subsistance, ce qui modifia les structures agraires qui étaient celles de la seigneurie foncière. Les seigneurs se mirent à louer aux paysans des biens faisant partie de la réserve moyennant le paiement d'un cens foncier fixe, non rachetable. L'accès facilité à la terre lié à l'introduction de la tenure héréditaire permit d'acheter des rentes, ce qui mit en mouvement le marché foncier rural: les rentes servirent à placer des fonds, réaliser des opérations de prêt ou à faire fonctionner le marché du crédit. Trois instruments jouèrent un rôle primordial: la rente liée à une donation faite à l'Eglise, la lettre de rente, mode de placement de capitaux très apprécié tant par les particuliers que par les pouvoirs publics, auquel recouraient habituellement les propriétaires fonciers pour se procurer de l'argent, et la rente viagère pour la prévoyance vieillesse privée. Ces rentes avaient en commun le fait d'être perpétuelles, c'est-à-dire non rachetables.

Des fondations anniversaires données à l'Eglise, qui rapportaient chaque année des rentes en nature, puis, de plus en plus souvent, des rentes en argent (Intérêts) dès le XVIe s., servaient à verser des bénéfices et à entretenir des institutions caritatives. Suivant l'exemple de la noblesse et des couvents, de riches bourgeois se mirent à placer leur fortune dans la terre et les droits seigneuriaux, ce qui n'était pas forcément très profitable sur le plan financier, mais était peu risqué; si la fortune était modeste, les créanciers citadins touchaient de la part des propriétaires du fonds une rente, assise sur le bien et garantie par un titre. Ces rentes, appelées lettres de rente, rapportèrent d'abord des intérêts en nature; les intérêts en espèces au taux fixe usuel de 5% furent imposés par les autorités au XVIe s. Ce n'était pas le débiteur, mais la propriété grevée qui répondait du gage (Droit de gage immobilier). Les lettres de rente étaient en principe rachetables seulement par le débiteur, non par le créancier, qui pouvait toutefois les utiliser comme des titres, les mettre en gage, les vendre ou les léguer. Le crédit immobilier garanti par ces lettres de rente était utilisé par les paysans moins pour financer des investissements que pour surmonter des situations de crise et surtout pour payer les héritiers lors du partage. La popularité du crédit foncier, qui n'était pas considéré comme un prêt et n'entrait donc pas en conflit avec l'interdiction du prêt à intérêt par l'Eglise (Usure), agrava cependant l'endettement agricole dès l'époque moderne, si bien que les dettes hypothécaires contractées pour dédommager les cohéritiers ne tardèrent pas à poser plus de problèmes que les redevances féodale, qui étaient de toute manière fixes.

L'ancienne rente viagère était une autre forme de rente liée à la terre (Prévoyance vieillesse). Pour assurer son entretien lorsqu'on n'avait plus la force de travailler, on remettait tout ou partie de sa fortune à des tiers qui vous garantissaient un entretien à vie. Dès le Moyen Age classique, les couvents notamment reçurent des biens (seigneuries, fermes, maisons de ville) en échange de fondations anniversaires. Ils en laissaient la gestion au donateur, qui devait subvenir à ses besoins avec le revenu du bien-fonds. Quand il n'était plus en état de le faire, il recevait une rente périodique en nature ou en argent. A sa mort, son bien revenait au couvent, qui était tenu de célébrer la messe anniversaire. Des contrats de rente viagère étaient également conclus entre les bourgeois et leur ville; jusqu'au XVIe s., les administrations urbaines se procurèrent ainsi des crédits pour réaliser des tâches publiques. A la campagne, la rente viagère (Leib(ge)ding à l'est de la Reuss, Schleiss à l'ouest et vitalizio au sud du pays), se développa au bas Moyen Age sur le modèle conventuel et urbain. Elle assurait à la personne âgée le droit d'être logée et nourrie dans la maison familiale, le tout étant adapté à sa fortune. Jusqu'au début du XXe s., la rente viagère fut la forme la plus importante de prévoyance vieillesse privée des milieux ruraux de condition moyenne et aisée.

Les rentes dans le secteur financier

C'est seulement à partir du moment où les rentes perpétuelles attachées au sol devinrent rachetables qu'elles se transformèrent en véritable instrument de crédit: l'acte de revers commença à s'imposer dès le XIVe s. Des clauses de revers prévoyaient la restitution de l'objet sur lequel était assise la rente au prix d'achat initial ou à une somme qui tenait compte d'un facteur de capitalisation déterminé (de plus en plus souvent 1: 20, soit 5%) pour les rentes annuelles et fixaient les échéances et les délais de rachat. Le rachat pouvait se faire en tout temps, à une échéance donnée ou dans un laps de temps donné avec ou sans délai de résiliation. Si les dispositions figurant dans le contrat n'étaient pas respectées, l'achat de la rente était considéré comme "perpétuel". Au début, seul le débiteur pouvait résilier le contrat, puis, de plus en plus souvent également celui qui avait droit à la rente. La clause de revers, suspectée d'usure, suscita des débats parmi les théologiens et les juristes jusqu'à l'époque moderne. Malgré cela, compte tenu de l'offre croissante en capital de la part de bourgeois enrichis, les contrats comportant un acte de revers devinrent les outils d'une économie monétaire et d'un marché financier indépendants des biens fonciers, ressemblant aux emprunts modernes. La lettre de rente garantie par un gage immobilier se transforma ainsi en prêt à long terme qu'on pouvait dénoncer et le crédit hypothécaire en instrument de gestion de fortune rationnel.

Soumis au contrôle des services financiers des villes (trésorier) et des banques d'Etat (change public), le prêt à long terme conserva un bas taux d'intérêt, ce qui provoqua aussi la baisse du crédit à court et à moyen terme, jusqu'alors coûteux, géré par les juifs et les lombards. Les rentes prirent une importance grandissante dans le crédit public grâce au commerce réciproque de prêts et d'emprunts entre les villes suisses, ce qui valut à Bâle de devenir le marché des rentes le plus important de la Confédération aux XVe s. et XVIe s. Cet instrument de crédit permettait aux villes de couvrir rapidement leurs besoins financiers à court terme. Les recettes, la fortune publique de la ville et celle des particuliers garantissaient la dette. Ces transactions préfigurent les titres actuels à taux fixes que sont les obligations étatiques et communales.

Le service étranger, le commerce et la protoindustrie générèrent dès le XVIe s. une surabondance de capitaux à long terme que le marché intérieur n'arrivait plus à absorber, si bien que des banquiers privés (Banques) se chargèrent de transférer ces capitaux à l'étranger et de les placer, notamment dans des rentes constituées, par le biais de la circulation des lettres de change en Europe et outre-mer. Dès 1850, tournées vers les investisseurs indigènes, les banques commerciales financèrent notamment la construction des chemins de fer et la grande industrie. Après la Première Guerre mondiale, elles développèrent leurs filiales à l'intérieur du pays tout en s'engageant dans la finance internationale et sur les marchés étrangers, ce qui valut à la Suisse de devenir une place financière internationale. Le marché des capitaux fortement internationalisé se subdivise donc, dans le secteur des titres à long terme, en un marché obligataire pour des papiers valeurs à revenu fixe et un marché des actions pour des titres de participation dans des opérations de placement et de crédit. Le principal type de crédit des banques suisses reste toutefois le crédit hypothécaire, qui sert à acquérir des biens-fonds, à construire des bâtiments ainsi qu'à en préserver et en augmenter la valeur.

Les rentes relevant des assurances et du secteur social

Les rentes viagères des citadins constituées grâce au marché des capitaux urbain et la rente viagère des campagnes furent les précurseurs des assurances vie et des caisses de pension modernes (Assurances). Il en allait de même pour la nourriture et les soins à vie que l'hôpital urbain garantissait aux bourgeois de la ville, souvent contre remise de leur fortune. A la mort de l'assuré, le capital mis de côté pour la rente allait à l'assureur, si bien que les rentes étaient relativement élevées (8 à 12%). Etant donné que la durée de vie du bénéficiaire de la rente était imprévisible, tous ces contrats gardaient un caractère spéculatif. Lorsque, dès le XVIIe s., le marché intérieur des rentes s'assécha à cause du désendettement progressif des villes suisses, la couche aisée de la population se tourna vers des emprunts étrangers, dont les contrats viagers se calculaient déjà en tenant compte de l'espérance de vie statistique de l'assuré. À la campagne, la rente viagère privée existe encore, lorsque les parents remettent leur exploitation à un héritier dans le cadre d'un pacte successoral qui l'avantage. Rentes viagères et contrats d'entretien viager sont régis par le Code des obligations (art. 516-529).

Les vieillards démunis ne disposant ni d'une rente ni d'une fortune dépendaient de l'assistance; celle-ci fut d'abord l'affaire de l'Eglise, puis, dès le XVIe s., souvent celle des communes. Mais au XIXe s., la pauvreté était si répandue qu'elle nécessita la création de sociétés de bienfaisance locales. A l'image de ce qui se faisait à l'étranger, les premières assurances suisses s'intéressèrent au XIXe s. d'abord aux choses et au capital. Les sociétés de secours mutuels qui offraient une assistance en cas de maladie, de décès et de vieillesse, et contribuaient à surmonter les coups durs par une entraide collective, furent créées ensuite (Mutuelles). Jusqu'en 1880, seules quelques rares caisses professionnelles accordaient une pension ou une indemnité à leurs adhérents devenus vieux. La réglementation de la prévoyance vieillesse par le biais d'assurances sociales étatiques et privées ne prit forme qu'au XXe s. Mais la prévoyance professionnelle assurée par le biais des caisses de pensions ne résolvait pas le problème de la pauvreté due au vieillissement, en particulier pour les personnes employées seulement à titre temporaire, si bien qu'elle fut complétée, en 1948, par l'assurance vieillesse et survivants (AVS), principale assurance sociale du pays. L'assurance invalidité (AI), introduite dans la foulée, verse des rentes en cas d'incapacité de travailler. Le financement des rentes AVS et AI est basé sur un système de cotisations obligatoires prélevées sur les salaires, qui inclut toutes les personnes établies en Suisse. Depuis 1972, le principe des trois piliers - une assurance fédérale (AVS), la prévoyance professionnelle et la prévoyance individuelle - est inscrit dans la Constitution fédérale (art. 34quater de la Constitution de 1874, art. 111 de celle de 1999). Pour les cas de rigueur, des prestations complémentaires sont prévues.

Au début du XXIe s., les rentes de toutes sortes jouent un rôle important dans l'économie nationale. Elles occupent une place prépondérante dans la vie économique et dans le quotidien des gens; compte tenu des crises économiques, elles sont également omniprésentes dans le débat politique. Le secteur des rentes s'est internationalisé depuis longtemps, grâce à l'interaction de la branche financière et de celle des assurances.

Sources et bibliographie

  • M. Körner, Banken und Versicherungen im Kanton Luzern vom ausgehenden Ancien Régime bis zum Ersten Weltkrieg, 1987
  • A.-M. Dubler, «Der Emmentaler Schleiss», in SAVk, 85, 1989, 332-362
  • HRG, 4, 895-901
  • LexMA, 7, 734-738
  • E. Carigiet, J.-P. Fragnière, éd., Le concept des trois piliers a-t-il un avenir?, 2001
  • A. Berger, Betriebsübergabe gegen Rente in Deutschland, Österreich und der Schweiz, 2002
  • M. Boemle et al., éd., Geld-, Bank- und Finanzmarkt-Lexikon der Schweiz, 2002
  • H.-J. Gilomen et al., éd., De l'assistance à l'assurance sociale, 2002
Liens

Suggestion de citation

Anne-Marie Dubler: "Rentes constituées", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 23.12.2011, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/013706/2011-12-23/, consulté le 17.04.2024.